Alors que la définition européenne du "caractère perturbateur endocrinien" peine à aboutir, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) vient de rendre un avis sur deux de ces substances (1) : l'o-phénylphénol (OPP), utilisé pour ses propriétés biocides comme désinfectant et conservateur ainsi que le methyl tert-butyl éther (MTBE), utilisé comme additif dans l'essence.
La Direction générale de la santé (DGS) a en effet saisi l'Agence en 2009 pour réaliser une expertise sur les risques sanitaires, que ce soit pour les professionnels ou le grand public, liés à l'exposition à une trentaine de substances reprotoxiques et/ou perturbatrices endocriniennes (2) (PE).
Une difficulté d'accès aux données
La tâche n'a pas été aisée : l'Anses a dû faire face à des "difficultés [pour] recueillir des informations représentatives du marché français concernant les produits de consommation et les données de composition associées, pourtant essentielles pour caractériser les expositions de la population et les risques éventuels pour la santé ".
L'expertise remise ce mois de mai cible cinq substances (3) considérées comme prioritaires par les ministères de tutelles.
Pour ce qui concerne l'o-phénylphénol (OPP), l'Anses, malgré le manque d'information, a identifié huit usages (4) susceptibles d'engendrer une exposition du consommateur (et pour lesquels des données permettant de quantifier celle-ci sont disponibles). "Ces usages ne sauraient être représentatifs (5) de l'ensemble des mélanges contenant de l'OPP en France", met en garde l'Anses. Selon elle, les utilisations les plus exposantes sont, pour le grand public, celles des dégraissants pour métaux sous forme liquide (par inhalation et contact cutané) et celles des désodorisants d'atmosphère sous forme liquide (inhalation).
Pour la population professionnelle, l'Anses pointe un usage de nettoyants désinfectants de surface ménager en aérosol (inhalation et contact cutané).
L'Agence recommande tout d'abord de combler les manques : réaliser des études expérimentales complémentaires afin de confirmer ou infirmer le potentiel PE de l'OPP par des études expérimentales suivant les lignes directrices de l'OCDE et les bonnes pratiques de laboratoire.
Elle souhaiterait également que la toxicité des substituts possibles dans ces produits soit évaluée, notamment ceux de la liste des composés biocides autorisés dans les produits visant à prévenir le développement microbien et le développement des algues (TP6).
Enfin, elle souligne la nécessité de mener une évaluation des risques sanitaires liée à la présence d'OPP dans les aliments, l'air et les poussières : ce dernier peut en effet être utilisé comme produit phytopharmaceutique ou dans certains matériaux destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires.
MTBE : réviser la valeur limite d'exposition professionnelle en vigueur
Pour le second perturbateur endocrinien examiné, le methyl tert-butyl éther (MTBE), l'Anses a identifié des situations à risques pour la reproduction, même si une incertitude demeure du fait que l'étude sur ce produit n'ait pas été accessible dans son intégralité.
Pour l'Agence, il est toutefois nécessaire d'accroître la surveillance et réduire les expositions au MTBE des professionnels dans les stations service. Elle recommande ainsi de réviser la valeur limite d'exposition professionnelle aujourd'hui en vigueur. Comme le PE précédent, pour pallier aux manques d'informations sur le potentiel perturbateur endocrinien, des études expérimentales complémentaires réalisées dans les règles s'avèrent nécessaires.
L'Anses s'est également positionnée sur trois reprotoxiques de catégorie 2, le n-hexane, utilisé dans les produits de consommation en tant que solvant, le toluène, utilisé en tant que solvant ou intermédiaire de synthèse, et le cis-CTAC, utilisé comme conservateur dans plusieurs produits, notamment certains produits répulsifs.
"Des situations d'exposition potentiellement à risque pour le développement fœto-embryonnaire sont possibles du fait d'une exposition (professionnelle ou non) de la femme enceinte à certains produits contenant du toluène, du n-hexane ou du cis-CTAC", pointe-t-elle.
Concernant le toluène et le n-hexane, l'Agence relève également des situations de risque pour le système nerveux.
Elle recommande donc aux femmes enceintes d'éviter l'utilisation de produits de bricolage, d'entretien et de répulsifs contenant du toluène, du n-hexane et du cis-CTAC.
Pour le toluène et le n-hexane en particulier, elle pointe que le seuil (6) de 3% actuellement en vigueur n'est pas protecteur pour le fœtus et préconise une révision de la valeur limite d'exposition professionnelle.
Pour le n-hexane, elle estime, dans le cas où la substitution ne serait pas possible, qu'abaisser la teneur en deçà de 0,1% massique dans les produits permettrait d'écarter le risque dans la majorité des situations.
Enfin, pour ce qui est du cis-CTAC, l'Anses estime qu'il ne doit pas être utilisé dans les produits répulsifs. Etant donné le manque d'études disponible pour ce produit également, l'Anses recommande de préciser ses effets reprotoxiques, sa pénétration cutanée et son métabolisme, selon les voies d'exposition.
Le n-hexane, du toluène et du MBTE font également l'objet d'une évaluation dans le cadre du règlement Reach et le cis-CTAC et de l'OPP via la réglementation "biocides".
La stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, adoptée le 29 avril de cette année 21521, prolonge ces expertises : elle a chargé l'Anses d'étudier en 2014 les methylparabènes et le BHA (utilisés comme conservateurs), le composé de l'acide orthoborique (utilisé dans les plastiques, lubrifiants, jouets et articles de puériculture), le DINCH et le DEHTP (utilisés dans des plastiques, jouets…).