Aujourd'hui, il est classique d'entendre qu'au-delà de 30% d'énergies variables raccordées au réseau, la sécurité électrique française n'est plus assurée. Des solutions existent pour accroître la flexibilité du système électrique (adaptation de l'offre et de la demande, Step (1) , interconnexions, effacement…), mais celles-ci sont limitées par des contraintes techniques, économiques, sociétales…
Pour aller au-delà de cette barrière de 30%, une seule solution : la conversion de l'électricité en gaz stockable, estime une étude publiée fin octobre (2) par l'Ademe, GrdF et GRTgaz. Après avoir analysé des scénarios prospectifs français et européens, l'étude conclut que le power to gas (3) est une solution incontournable à moyen ou long terme pour engager une véritable transition énergétique.
Un changement de paradigme
Si le concept du power to gas a émergé récemment en France avec la publication du scénario négaWatt, "il n'en va pas tout à fait de même dans les autres pays européens, notamment ceux où la question de la transition énergétique est posée de manière plus nette et connaît parfois déjà un début de mise en œuvre à travers des décisions politiques". Ainsi, les pays ayant fait le choix d'un développement massif d'énergies renouvelables (EnR) intermittentes, comme le Danemark ou l'Allemagne, misent sur l'hydrogène (H2) et la méthanation (CH4) afin d'intégrer les nouvelles capacités de production d'électricité renouvelable.
Le principal enjeu est de "valoriser les excédents de production d'électricité de longue durée et de grands volumes". Lorsque la production d'électricité d'origine renouvelable (et variable) atteint des taux de pénétration de 40 à 50%, un stockage inter-saisonnier est nécessaire afin de mettre en adéquation production et consommation.
Dans un tel scénario, les technologies de stockage utilisant le vecteur gaz apparaissent "comme la seule famille de solutions aujourd'hui crédibles pour répondre en termes quantitativement adéquats aux enjeux techniques et économiques d'un tel besoin", analyse l'étude. Leur avantage : les infrastructures existent déjà, elles "représentent des capacités de stockage considérables immédiatement disponibles à coût marginal", chiffrées à plusieurs dizaines de térawatt heures.
En se basant sur différents scénarios de transition énergétique, visant une réduction des émissions de gaz à effet de serre et un développement des EnR, l'étude estime que le power to gas sera nécessaire à l'horizon 2025-2030 en France. Un laps de temps utile puisque les différentes technologies doivent arriver à maturité. Mais pas seulement : le power to gas nécessite une autre vision du système énergétique français, impliquant une meilleure coordination de la gestion des principaux réseaux (électricité, gaz et chaleur) et un développement important du vecteur gaz pour l'ensemble des usages (chaleur, mobilité, cuisson…). Autrement dit, le contraire de la tendance actuelle : les usages électriques se multiplient, souvent au détriment du gaz.
Hydrogène à court terme, méthane à moyen-long terme
"Le power-to-gas ne constitue pas à proprement parler une « technologie de rupture » dans le sens où il ne fait finalement qu'assembler ou réassembler d'une façon originale un ensemble de briques techniques déjà bien maîtrisées et depuis longtemps, même si certaines variantes auxquelles il peut faire appel sont très innovantes ou embryonnaires", indique le document. L'électrolyse, le stockage et l'utilisation de l'hydrogène, le captage du CO2, la méthanation, l'injection dans le réseau, la valorisation des co-produits sont "à un stade de maturité industrielle ou de développement technologique suffisant pour avoir la certitude qu'une ou plusieurs solutions seront disponibles" à moyen terme.
Toutefois, estime l'étude, il est trop tôt pour évaluer quelle technologie émergera demain : des efforts de R&D dans la plupart des domaines concernés et la réalisation de démonstrateurs de taille significative restent nécessaires.
Néanmoins, si la conversion de l'électricité en hydrogène devrait, dans un premier temps, être utilisée, "à plus long terme, une transition vers la production de méthane de synthèse permettrait de lever toutes les limites techniques liées à l'injection et de donner ainsi accès aux stockages souterrains de très grande capacité", note l'étude. Les possibilités d'injection de l'hydrogène sont actuellement limitées à 2% (en énergie) pour des raisons techniques et de sécurité. A plus long terme, "il semble difficilement envisageable qu'elle[s] dépasse[nt] 20 à 30% en volume soit 15 à 20% en énergie, ce qui constitue de fait un facteur limitant". La méthanation, qui nécessite une étape supplémentaire, présente quant à elle l'avantage de "former du méthane de synthèse (CH4), 100% miscible avec le gaz naturel".
Afin d'accélérer le déploiement de solutions technologiques, l'étude recommande aux pouvoirs publics de soutenir le déploiement de démonstrateurs à grandeur réelle (en levant notamment les freins réglementaires actuels) et de lancer, à l'échelle européenne, un programme de R&D à moyen - long terme. Les recherches devront notamment lever plusieurs verrous : développement du vecteur gaz dans les transports, sensibilité des turbines à gaz à l'hydrogène, impact de la présence d'hydrogène dans le gaz pour les cavités salines…
Les conditions nécessaires à l'émergence du power to gas
Parallèlement, un groupe de travail "similaire à celui œuvrant sur l'injection de biométhane", devra plancher sur un cadre réglementaire, économique et technique et définir une feuille de route pour la filière.
"Sans en faire un préalable absolu à son développement, la question du positionnement du power-to-gas dans le système énergétique dans son ensemble sera sans nul doute un élément déterminant de la contribution qu'il sera en mesure d'apporter à la transition énergétique". Les opérateurs ont en effet besoin de visibilité sur l'évolution de ce marché, notamment concernant les mécanismes de soutien aux EnR, l'évolution du prix du carbone, les soutiens aux modes de transport…
Enfin, la question d'une collaboration des gestionnaires de réseaux de transport électriques et gaziers, "ainsi d'ailleurs qu'entre GRD (gestionnaires de réseaux de distribution) à des échelles géographiques pertinentes de l'ordre de la région, devrait être renforcée et mise à l'ordre du jour des réflexions et des travaux actuels et futurs autour de la transition énergétique". En France, ces réseaux sont historiquement cloisonnés, souligne l'étude, alors qu'au Danemark, ils sont gérés par un opérateur unique : "La concurrence souvent stérile entre ces deux vecteurs n'a pas cours dans ce pays où elle est remplacée par l'évidence de leur complémentarité (ainsi d'ailleurs qu'avec les réseaux de chaleur qui alimentent plus de la moitié des bâtiments)".