© IRD/ Saurin Hem
Si cette destruction de zones forestières tropicales et de la biodiversité qu'elles abritent est très souvent dénoncée par les associations de protection de l'environnement, un autre impact de cette agro-industrie, moins connu, fait l'objet de recherche au sein de l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD). La culture intensive du palmier à huile s'accompagne en effet d'une production de résidus organiques en grande quantité : les tourteaux. L'Indonésie, devenue récemment le premier producteur mondial d'huile de palme, génère chaque année 2,3 millions de tonnes de tourteaux de palmiste, explique l'IRD. Matière fibreuse obtenue après le pressage des fruits du palmier, les tourteaux de palmiste sont très difficiles à recycler. Mais une équipe de l'IRD et de scientifiques indonésiens ont réussi à mettre au point un procédé de valorisation biologique après plusieurs années de recherche sur place.
Au cœur de ce procédé, un insecte : l'Hermetia illucens ou « black soldier ». Cette espèce de diptère commune dans toute la zone intertropicale manifeste un intérêt particulier pour les tourteaux de palmiste. Ces larves sont en effet capables d'extraire les nutriments (protéines et lipides) des résidus de fibre végétale et par conséquent de digérer les tourteaux. Le procédé de l'IRD s'appuie donc sur une étape de fermentation préalable inspirée de la digestion des ruminants et sur l'action des larves d'Hermetia. Il consiste à disposer des récipients contenant un mélange de tourteaux et d'eau en lisière de forêt tropicale ou près des plantations d'hévéas. Les diptères femelles, attirés par l'arôme des tourteaux en fermentation, viennent y pondre leurs oeufs. Après leur éclosion, les larves se développent en se nourrissant de ce substrat pré-dégradé.
Une valorisation qui profite à d'autres
Pour ne pas déséquilibrer l'écosystème en encourageant le sur-développement de l'insecte, les scientifiques de l'IRD ont cherché un moyen de valoriser les larves elles-même et se sont rapprochés d'une autre économie locale en plein développement : l'aquaculture. Dans l'archipel indonésien, la pisciculture d'eau douce nécessite tous les ans l'importation de l'équivalent de 200 millions de dollars en farines de poissons. Or, avec l'envolée des prix liée à l'épuisement progressif des stocks naturels, ces importations pèsent de plus en plus lourd dans la balance commerciale du pays, d'où l'idée de remplacer ces farines par les larves d'Hermetia. Lorsque les larves cessent de s'alimenter, elles sont récoltées puis mélangées à du son de riz, autre sous-produit agricole facilement disponible en Indonésie. L'aliment ainsi obtenu apporte les besoins nutritifs essentiels aux espèces de poissons élevées en aquaculture telles que le tilapia ou le panga.
Par ailleurs, les scientifiques de l'IRD ont constaté récemment que les déjections des larves constituaient un engrais très efficace. Les premiers tests menés sur la dolique asperge, une légumineuse couramment cultivée en Indonésie pour ses gousses et ses graines comestibles, prouvent que ces déjections constituent un excellent engrais vert autorisant des rendements au moins quatre fois supérieurs à ceux des cultures non fertilisées, explique l'IRD.
L'institut de recherche va donc mettre en place prochainement une unité pilote à proximité d'une huilerie de l'île de Sumatra produisant 50 tonnes de tourteaux. Améliorée au fil des années, la méthode permet actuellement de fournir une tonne de larves à partir de 2,5 tonnes de tourteaux de palmiste en l'espace de trois semaines.
En incitant les populations locales à utiliser ce procédé de bioconversion, les chercheurs espèrent limiter l'impact écologique de la culture du palmier à huile tout en favorisant la préservation des écosystèmes forestiers indonésiens. En effet, la forêt tropicale étant l'habitat naturel d'Hermetia illucens, le procédé de bioconversion n'a d'intérêt que si cet écosystème est préservé. Un argument qui pourrait inciter les compagnies agro-industrielles à maintenir de petits îlots de forêts primaires entre les plantations de palmiers à huile, espère l'IRD, mais qui reste tout de même à vérifier.