Pourtant, la France s'est dernièrement fixé des objectifs ambitieux en termes d'incorporation de biocarburant : il conviendra d'atteindre 5,75 % en 2008, 7 % en 2010 et 10 % en 2015, soit une anticipation de deux ans pour la première de ces échéances par rapport à la directive européenne.
Pour ce faire, dans un contexte de hausse du cours du baril de pétrole, de lutte contre l'effet de serre et de révision de la politique agricole commune et de manière à favoriser les partenariats entre les différents acteurs et les pouvoirs publics, Dominique Bussereau, ministre de l'Agriculture et de la Pêche et François Loos, ministre délégué à l'Industrie, ont réuni à Bercy les acteurs du monde agricole et du secteur pétrolier, les constructeurs et équipementiers automobiles et les professionnels du machinisme agricole.
Le Ministre chargé de l'Industrie a décidé de demander une révision des normes au niveau européen. Pour lui, l'atteinte de l'objectif d'incorporation de 5,75% en contenu énergétique de biocarburants à l'horizon 2008 n'est pas compatible avec les normes européennes actuelles sur la composition des carburants. L'incorporation de biocarburants dans les carburants fossiles est en effet limitée par ces normes à 5% en volume. Il a adopté en parallèle une pré-normalisation au niveau national à la fin 2006 permettant de porter de 5 à 10% la limitation en volume pour l'incorporation d'EMHV dans le gazole, compte tenu de la possibilité de dérogation nationale et de l'intérêt majeur d'un développement des biodiesels.
Cette « pré-normalisation » sera réalisée suite aux derniers tests techniques de validation qui seront conduits par l'Institut Français du Pétrole (IFP) et les constructeurs et équipementiers automobiles dans le courant de l'année 2006.
Toujours pour atteindre les objectifs d'incorporation, développer la concurrence sur le marché et assurer de nouveaux débouchés pour l'éthanol, tous les participants à la table ronde se sont accordés pour que de nouveaux biocarburants soient encouragés comme l'ester éthylique d'huile végétale (EEHV) qui offre un débouché pour l'éthanol dans le gazole ou l'ester méthylique d'huiles animales (EMHA) dans le gazole, mais aussi les biodiesels de synthèse. Ainsi, les Ministres ont indiqué que les nouveaux appels d'offres à venir relatifs aux agréments pour 2008, représentant un volume total de 1 300 000 tonnes de biocarburants susceptibles d'être incorporés au gazole seront ouverts à l'EEHV, à l'EMHA et au biodiesel de synthèse.
Dans le cadre de l'examen du Projet de Loi de Finance 2006 (PLF) au Sénat, il sera proposé d'insérer ces nouveaux produits dans le code des Douanes avec des conditions fiscales adaptées.
Par ailleurs, le gouvernement estime que le développement de l'E85, (essence à 85% d'éthanol) qui sera permis par des véhicules dits « flex-fuel » disposant de moteurs adaptés et utilisant indifféremment l'essence normale ou l'E85, représente une voie intéressante pour l'avenir. En conséquence les Ministres se sont engagés à mettre en place un groupe de travail interministériel visant à préciser les perspectives de développement de cette filière et ont demandé aux constructeurs automobiles de développer une offre significative de véhicules « flex-fuel » pour le marché français.
En revanche, les participants ont estimé que les huiles végétales pures avaient des limites, officiellement tant en raison des contraintes techniques et environnementales des moteurs, que des risques sanitaires qui peuvent exister dans l'utilisation pour l'alimentation animale des tourteaux coproduits de ces huiles.
Outre les pétroliers qui perçoivent cette filière d'un très mauvais œil (et pour cause…), les constructeurs automobiles sont défavorables à l'utilisation directe d'huiles végétales pures dans les moteurs d'automobile. Celles-ci ne répondent pas d'après eux, aux spécifications qui permettent aux moteurs Diesels de respecter les très bas niveaux d'émissions polluantes imposés par les normes européennes.
Cependant, à compter du 1er janvier 2007 la commercialisation de ces huiles végétales pures comme carburant agricole sera autorisée, sans préjuger toutefois de la position du secteur automobile sur les garanties offertes. Un décret précisera les conditions de production, de commercialisation et d'utilisation de ces huiles, sur la base des résultats des expériences conduites en France et à l'étranger.
Concernant la défiscalisation**, les ministres ont souhaité rester au niveau prévu dans le cadre du projet de loi de finances 2006, niveau qui reste très favorable, selon Bercy.
Afin d'atteindre les objectifs d'incorporation à courts termes, les ministres ont encouragé les partenariats commerciaux entre le secteur éthanolier et les industriels de l'ETBE, notamment Lyondell qui dispose d'une importante capacité de production à Fos sur mer (potentiel de 750 000 tonnes d'ETBE). En particulier les ministres ont insisté pour que des contrats commerciaux pluriannuels soient conclus rapidement entre ces acteurs, afin d'assurer des débouchés stables aux agriculteurs et aux distilleries d'éthanol concernées.
Enjeu fondamental de la diversification du bouquet énergétique, les biocarburants ont des atouts : ce sont des énergies renouvelables qui contribuent à diminuer certains impacts globaux, comme l'effet de serre et représente un élément de réponse à l'augmentation du coût des carburants et à la baisse des réserves pétrolières. Ils ouvrent également de nouvelles perspectives à l'agriculture française. Une étude Écobilan mandatée par la DGEMP (DIREM) et l'ADEME et réalisée au cours du premier semestre 2002, en vue d'établir les bilans énergétiques et les émissions de gaz à effet de serre des biocarburants et des carburants fossiles, à partir de l'expérience française de production de biocarburants, en témoigne, même si aucune considération de caractère économique n'a toutefois été prise en compte dans cette étude. Les résultats des bilans montrent un bon positionnement de l'ensemble des filières biocarburants en comparaison des filières de carburants traditionnels. Du point de vue énergétique, les rendements énergétiques qui se définissent comme le rapport entre l'énergie restituée sur l'énergie non renouvelable mobilisée, sont tout à fait honorables :
- Le rendement des filières de production d'éthanol de blé et betterave est de 2 à comparer avec le rendement pour la filière essence de 0,87.
- Le rendement énergétique des filières ETBE de blé et betterave est voisin de 1 contre un rendement de la filière MTBE de 0,76.
- Enfin, la filière EMHV présente un fort rendement énergétique proche de 3 à comparer avec le rendement du gazole de 0,9.
Du point de vue du bilan des gaz à effet de serre, les filières de production de biocarburants présentent également un gain important par rapport aux filières de carburants fossiles : l'impact sur l'effet de serre de la filière essence est environ 2,5 fois supérieur à celui des filières éthanol en considérant l'hypothèse de combustion totale des carburants ce qui se traduit par un gain d'environ 2,7 tonnes équivalent CO2 / tonne pour le scénario actuel.
Mais pour certains, les biocarburants peuvent avoir un impact négatif sur l'environnement car ils sont généralement issus de cultures intensives, consommatrices d'engrais et de pesticides. Pire, selon une étude anglo-américaine réalisée par les universités de Cornell et Berkeley, et publiée par Nature Ressources Research, le processus de fabrication de l'éthanol à partir de maïs nécessite 29 % d'énergie de plus que celle que l'éthanol libère comme carburant...
Une autre étude publiée par Bioscience et réalisée par des chercheurs de l'état de Washington considère que la production d'éthanol carburant à partir de canne à sucre devrait voir son développement freiné en raison de ses impact sur l'environnement en particulier la consommation d'eau.
*1. Evolution des normes sur le gazole et l'essence, demande de révision au niveau européen
2. Contrôles sur la qualité des carburants
3. Le développement de l'incorporation directe d'éthanol dans l'essence
4. Une opération d'incorporation directe sur 300 000 tonnes d'essence à Rouen
5. Mise en place d'un marché de bases essences à éthanol
6. Publication des niveaux de prix de ces bases
7. Des partenariats commerciaux pluriannuels à développer sur l'essence (ETBE)
8. Publication des niveaux de prix de l'éthanol carburant
9. Question préliminaire à la Commission européenne sur le PCI de l'ETBE
10. Soutien au développement de nouveaux biocarburants
11. Les appels d'offre pour 2008 ouverts à ces nouveaux produits
12. Soutien au flex-fuel dès 2006 à titre expérimental
13. Développement de la filière biodiesel conforté
14. Usage des huiles végétales pures limité au carburant agricole
15. Maintien d'une défiscalisation incitative, et d'une TGAP dissuasive qui ne doit pas peser sur le consommateur
**Le dispositif fiscal de soutien aux biocarburants est actuellement composé de deux instruments :
- des agréments d'unités de production donnant droit à une défiscalisation partielle de TIPP lors de la mise à la consommation des biocarburants (de 25 €/hl pour les EMHV incorporés dans le gazole et 33 €/hl pour l'éthanol et pour l'ETBE incorporés dans les essences),
- une TGAP (instituée depuis le 1er janvier 2005) portant sur les distributeurs de carburants pour les inciter à incorporer des volumes de biocarburants dans les carburants fossiles qu'ils mettent à la consommation.
Si le premier dispositif pèse directement sur le budget de l'Etat (dépense fiscale correspondant à la moindre rentrée de TIPP), le deuxième dispositif pèse sur les distributeurs de carburants (grande distribution et pétroliers) qui n'incorporent pas suffisamment de biocarburants et qui le répercutent aux consommateurs dans le prix à la pompe. Cependant cette taxe n'a pas pour but d'être payée mais de faire que chaque distributeur atteigne les objectifs d'incorporation annuels fixés dans la loi.
La dépense fiscale (liée à la réduction de TIPP) correspond à environ 180 M€ pour un taux d'incorporation effectif de 1% de biocarburants en valeur énergétique dans les carburants fossiles.
Les objectifs d'incorporation annoncés par Dominique de Villepin et inscrites dans la loi d'orientation agricole, prévoient une incorporation de 5,75% à l'horizon 2008, soit une dépense fiscale de près 1 Md€, avec un passage à 7% en 2010 et 10% en 2015.
Ces chiffres s'entendent à taux de défiscalisation inchangés : ces taux dépendent du prix du baril et de la compétitivité des biocarburants ; ils pourront donc à nouveau varier à l'avenir en fonction de ces paramètres.
Enfin il n'existe pas d'aide directe aux usines (notamment aux investissements) mais, comme détaillé précédemment, un agrément donnant droit à réduction de TIPP sur le produit fabriqué ce qui permet aux usines de pouvoir le vendre à un prix couvrant leurs coûts de production.