« L'entreprise russe Nordgold réclame près de 4 milliards d'euros à la France en réparation de la décision du gouvernement français de ne pas prolonger la concession minière [qui comprend le gisement dit de Montagne d'or] », déplorent les collectifs Stop Ceta-Mercosur et Or de question. Ce nouveau rebondissement s'inscrit dans un feuilleton déjà mouvementé de l'exploitation aurifère en Guyane par la compagnie minière Montagne d'or (1) . Celle-ci réunit le groupe russe Nordgold et le canadien Orea Mining (2) .
À la suite du refus de la prolongation de deux de ses concessions, situées entre deux parties de la réserve biologique intégrale (RBI) de Lucifer Dékou-Dékou, en Guyane, par le ministre chargé des Mines (par défaut de réponse), la compagnie avait déposé un recours devant le tribunal administratif de Cayenne. En décembre 2020, ce dernier avait alors enjoint le ministre de prolonger les concessions.
Pour mémoire, aucun représentant du ministère n'était présent à l'audience pour soutenir le refus des titres. En février dernier, les ministères chargés de la Transition écologique, des Outre-mer et de l'Industrie ont annoncé avoir fait appel. Une procédure qui n'a toutefois pas été couronnée de succès : la cour administrative d'appel de Bordeaux, en juillet, a, en effet, considéré que ce refus n'était pas légalement justifié. Le gouvernement s'est donc pourvu en cassation et la décision du Conseil d'État est désormais attendue.
Un traité bilatéral franco-russe de protection des investissements
Sans connaître le verdict, les investisseurs russes ont souhaité entamer une autre démarche en parallèle des procédures judiciaires françaises – pour demander réparation auprès de l'État français : ils s'appuient pour cela sur un traité bilatéral de protection des investissements (TBI), signé entre la France et la Russie. « Ces dispositifs, imaginés dans le cadre d'accords avec les anciennes colonies, ont ensuite été intégrés dans des centaines d'accords de protection des investissements, y compris entre pays riches, précise Mathilde Dupré, chargée du programme sur la politique commerciale européenne à l'Institut Veblen. Petit à petit, l'usage de ces mécanismes est devenu une façon pour les investisseurs soit de dissuader les États de prendre certaines mesures d'intérêt général qui affectent leurs investissements, soit de leur faire payer des compensations financières élevées quand ils les prennent. »
Un panel d'avocats d'affaires
Ces affaires sont jugées dans le cadre d'un tribunal arbitral : des arbitres sélectionnés par les parties prenantes se réunissent pour statuer sur la plainte. « Le panel comprend trois personnes : un arbitre que choisit l'investisseur, un autre que l'État sélectionne et, ensemble, ils conviennent d'un troisième arbitre, explique Mathilde Dupré. En général, ce sont des avocats d'affaires, spécialisés en droit international… Ce qui ne va pas sans poser problème quand les décisions de l'État ont été motivées par raisons environnementales, car ce ne sont pas forcément des experts du droit de l'environnement. »
Des règles favorables aux investisseurs
Concession Montagne d'or : une histoire à tiroirs
« Il faut différencier plusieurs enjeux, liés à des procédures administratives distinctes », pointent Amélie Canonne et Maxime Combes, à propos de la concession dite Montagne d'or sur le territoire de la concession Paul-Isnard, en Guyane. Celle-ci dépend, tout d'abord, du renouvellement de la concession dite « Bœuf mort », qui comprend le gisement de Montagne d'or, permettant l'exploitation des ressources minières. Cette première étape fait l'objet aujourd'hui à la fois de procédures administratives comme de la procédure arbitrale. Ensuite, des autorisations d'ouverture de travaux, régie par le Code minier, seront nécessaires pour la conduite des opérations minières. Enfin, « le projet industriel lié à la « Montagne d'or » (…) doit faire l'objet d'une autorisation environnementale en raison des travaux et des infrastructures non miniers qu'il implique », soulignent-ils.
La meilleure issue désormais pour l'État français dans cette affaire serait de porter le contentieux au niveau d'État contre État devant une juridiction publique internationale, selon Amélie Canonne, membre d'Attac, juriste spécialisée en droit international, et Maxime Combes, économiste, chargé des enjeux « commerce et relocalisation » pour l'Aitec. (3) « C'est tout le problème des TBI et de l'ISDS [mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, ndlr] : c'est un chèque en blanc aux investisseurs pour démarrer des contentieux sur la base de n'importe quelle frustration, estiment-ils. Si la France ne révise pas la centaine d'accords bilatéraux d'investissement qui la lient à des États, ce type de contentieux va se multiplier. »