La question prioritaire de constitutionalité (QPC) à laquelle a répondu le Conseil constitutionnel le 3 avril n'avait pas de lien direct avec l'environnement. Elle portait sur la communicabilité des algorithmes mis en œuvre dans les établissements d'enseignement supérieur à travers la plateforme Parcoursup.
Mais, par leur réponse, les sages de la rue de Montpensier ont donné une valeur constitutionnelle au droit d'accès aux documents administratifs. Cette reconnaissance n'est pas sans incidence sur l'accès à l'information relative à l'environnement détenue par les autorités publiques.
Droit de demander compte à tout agent public
Dans sa décision (1) , le Conseil constitutionnel affirme que le droit d'accès aux documents administratifs est garanti par l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (DDHC) de 1789, qui prévoit que « la Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Or, cette déclaration fait partie du bloc de constitutionnalité.
"C'est donc une avancée qui hausse ce droit d'accès dans la hiérarchie des droits", réagit Raymond Avrillier, maire-adjoint honoraire de Grenoble. "Il faut s'étonner que ce principe n'ait pas été reconnu depuis longtemps, l'article 15 de la DDHC datant seulement de... 1789 (l'ancien monde)", pointe toutefois l'homme qui a fait chuter l'ancien maire de Grenoble Alain Carignon.
« Cette décision me paraît fondamentale, car non seulement elle donne pour la première fois une valeur constitutionnelle au droit d'accès aux documents administratifs, mais elle établit que ce droit est garanti par l'article 15 de la DDHC », réagit également le docteur en droit Gabriel Ullmann. « Cela signifie que ce droit s'inscrit pleinement dans l'exercice du droit de demander des comptes aux agents publics. Ce n'est donc plus simplement le droit d'accéder à l'information pour être informé ou participer à une décision, mais bien celui de mettre en capacité le citoyen de demander des comptes et d'exercer un certain contrôle de l'action publique », explique le spécialiste du droit de l'environnement. Cette décision est en outre confortée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui affirme (2) que la liberté de recevoir et de communiquer des informations implique un libre accès aux documents administratifs détenus par l'État ou des organismes publics.
Le Conseil constitutionnel encadre toutefois ce droit en admettant que le législateur puisse lui apporter « des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général », mais « à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ».
Information communicable de droit et sans délai
Cette décision devrait permettre d'obtenir plus facilement satisfaction devant les juridictions administratives lorsque les autorités publiques font de l'obstruction. Mais aussi, en amont, de mettre une certaine pression sur ces dernières pour qu'elles satisfassent cette obligation qui s'imposait pourtant déjà à elles.
Mais, dans les faits, l'accès aux documents administratifs, qui reste encadré par les articles L. 124-1 et suivants (3) du code de l'environnement et le livre III du code des relations entre le public et l'Administration, « se heurte à des pratiques procédurières des exécutifs au plus haut niveau », dénonce Raymond Avrillier. Bien souvent, les autorités rechignent à délivrer des informations jugées sensibles à leurs yeux, portant notamment sur des concessions de services publics ou des événements accidentels. On songe là à l'incendie de l'usine Lubrizol.
Manque de moyens de la Cada
Pour Gabriel Ullmann, cette décision permet de transcender la jurisprudence du Conseil d'État. Par une décision (4) de 2002, ce dernier avait reconnu que le droit d'accès aux documents administratifs concernait « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Mais sa jurisprudence plus récente a fortement restreint ce droit. M. Avrillier pointe en particulier le renforcement du secret des affaires qui permet « d'occulter des dossiers entiers ».
À cela s'est ajouté le manque de moyens de la Cada. « L'article R. 343-3 du code des relations entre le public et l'Administration impose à la commission d'émettre un avis dans le mois suivant l'enregistrement de la demande. Aujourd'hui, ce délai est de six ou huit mois, voire un an dans certains cas », déplore Raymond Avrillier, qui a engagé un recours gracieux auprès du Premier ministre afin que plus de moyens soient alloués à la Cada. Un recours qui est resté sans réponse.