Responsable du département environnement et ressources biologiques à l'ANR
Actu-environnement.com : Quels sont les défis sociétaux de la recherche environnementale ?
Maurice Héral : La recherche environnementale s'attache effectivement à répondre à un ensemble d'enjeux et de défis sociétaux. Son rôle est d'appuyer les politiques publiques et l'innovation, dans six secteurs : l'éco-ingénierie et les villes durables, la biodiversité, les contaminants et leurs effets sur la santé et l'environnement, l'agriculture et la pêche, les risques naturels, et le changement climatique. Les défis sociétaux se retrouvent dans chacun de ces domaines. Dans la biodiversité, par exemple, comment et pourquoi garder des écosystèmes diversifiés, fonctionnels en termes de services rendus, tant économiques qu'esthétiques, qu'il s'agisse de la beauté d'un paysage ou de la fonctionnalité d'une forêt ? Pour ce qui est des contaminants de l'eau, de l'air, il s'agit de savoir comment ils perturbent la chaîne trophique. Ces programmes de recherche s'attachent à répondre aux questions posées dans le cadre du Grenelle de l'environnement. Son volet sur les pesticides agricoles par exemple, nous a amenés à financer des recherches sur les effets du chlordécone utilisé dans les cultures de banane, comment il contamine les rivières et les populations riveraines.
AE : Comment fixer des priorités dans cet immense champ de recherche ? Les citoyens sont-ils associés à la définition des orientations ?
MH : 2000 scientifiques français et internationaux sont impliqués dans les comités "environnement" de l'ANR. La préparation des appels à projets est réalisée par deux Comités scientifiques sectoriels (CSS) qui réunissent les organismes de recherche d'Allenvi (Alliance pour l'environnement), les ministères en charge de la Recherche, de l'Environnement, et de l'Agriculture, des experts étrangers et des représentants des secteurs industriels. Jusqu'à présent, il n'y a pas d'associations dans les structures comme les comités scientifiques. Rien n'empêche effectivement de convier des représentants de la société civile. Ce rôle est joué par les ministères, garants de l'intérêt général. Qui légitimement représente la demande des citoyens ? Jusqu'à présent, les parlementaires de l'Office d'évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) et les ministères concernés, les ministres ayant été démocratiquement élus à ces postes défendent l'intérêt collectif.
AE : L'ANR a-t-elle les moyens de ses missions ?
MH : Pour les recherches en environnement et les ressources biologiques associées, l'ANR a été dotée d'un budget de 693 millions d'euros pour la période 2005 - 2012. Jusqu'en 2008, l'ANR recevait environ 110 millions d'euros par an, mais les crédits sont en baisse, ils se montent maintenant à 60 M€ par an. D'où l'importance de déterminer des priorités, et de lancer des consultations. Les représentants des consommateurs sont très concernés par les pollutions, les contaminants, les impacts sur la santé. Les ONG telles que l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) sont très préoccupées par le maintien de la biodiversité et tirent la sonnette d'alarme sur la liste rouge des espèces en danger. Les représentants des entreprises, eux, plébiscitent les partenariats public-privé sur la décontamination des sols ou de l'eau par exemple.
AE : Quels sont les projets emblématiques ?
MH : Sur les 1130 projets financés par l'ANR depuis 8 ans, il n'est pas évident d'en citer un plutôt qu'un autre. On peut quand même évoquer la décontamination des terrils de Nouvelle Calédonie, la décontamination des eaux. En ce qui concerne les contaminants, on a un excellent projet qui montre comment les perturbateurs endocriniens vont entraver la reproduction des poissons. L'environnement étant un domaine très large, on peut aussi parler de l'Antarctique, où les recherches ont permis de reconstituer les climats antérieurs. Et des balises Argos ont permis de suivre des populations d'albatros, de cartographier leurs zones de reproduction, ce qui a permis de définir une réserve pour protéger ces oiseaux. Entre la décontamination d'un terril et la protection des albatros, il y a un monde...
AE : Quid des recherches sur le changement climatique ?
MH : Là aussi, le domaine est très vaste. Cela peut être aussi bien comment ont évolué des peuplements de forêts, en France et en Europe, afin de savoir ce qu'il faut replanter comme espèces d'arbres en fonction du réchauffement, comment les sociétés peuvent s'adapter au changement climatique, comment les agriculteurs peuvent modifier leurs pratiques culturales selon les espèces qui consomment plus ou moins d'eau. Les migrations des espèces tropicales, des espèces nordiques, leur vitesse d'adaptation. Beaucoup de domaines ont été couverts.
AE : Quelles sont les forces et les faiblesses de la recherche environnementale en France ?
MH : Nous manquons d'observations à long terme : il faut des observatoires dans la durée, des bases de données consultables par le public. Il faut développer la science participative, impliquer un certain nombre d'associations pour observer les migrations d'espèces invasives par exemple. La France n'est pas encore bien dotée de réseaux d'observateurs. On a des points forts dans le domaine de l'écologie : les écologues français savent être pluridisciplinaires. Reste à franchir un pas. L'IPBES, plate-forme intergouvernementale sur la biodiversité, va demander aux chercheurs d'anticiper l'évolution de la répartition des espèces et d'élaborer des scénarios, ce qui suppose de modéliser les changements. La recherche débute dans ce domaine. Car il faut passer de l'observation locale à des régions entières, il y a un changement d'échelle.