Directeur d'études Xerfi-Precepta
Actu-environnement.com : Quelle évolution de la part de la consommation de l'énergie issue de la biomasse dans le bouquet énergétique français ?
Philippe Gattet : La consommation finale d'énergie issue de la biomasse – hors bois des ménages - a progressé de plus de 4% par an entre 2005 et 2011. Dans le même temps, nous observions un léger recul de la consommation énergétique totale de la France sur la période.
Parmi les différents types de valorisation de la biomasse, le bois énergie représente une filière à part en raison de l'importance de sa production. Dans l'atteinte des objectifs 2020, en matière d'énergie renouvelable, ce dernier pourrait contribuer à 70% aux marchés de la biomasse en France. Il est suivi par la production d'énergie par les incinérateurs et ensuite mais de très loin par la valorisation du biogaz.
AE : Quelles sont les difficultés rencontrées par cette filière ?
PG : La forêt française s'avère relativement riche et importante en bois. Malgré cela, les entreprises ont des difficultés à accéder à cette ressource notamment concernant le bois énergie ou construction. Plus largement, la filière présente également un problème de structuration en amont : avec 3, 5 millions de propriétés environ, il y a une très forte atomicité des propriétaires en France. En outre, ces derniers ne gèrent pas forcément leur forêt, ce qui complique l'accès à la ressource.
Comme les entreprises qui récoltent le bois sont de taille artisanale, les volumes mis sur le marché comme les gains de productivité restent limités. Ceci pèse sur la capacité d'investissement de ces entreprises. Par exemple, elles utilisent rarement des équipements spécifiques pour recueillir du bois moins noble destiné à la combustion, ce qui pourrait améliorer la productivité.
Les sociétés de cette filière doivent beaucoup investir au départ. Cet effort ampute pendant plusieurs années leurs marges.
Elles ont besoin de stocks importants notamment pour faire sécher le bois une fois récolté avant de réaliser une première transformation : il faut financer ces stocks. Comme les entreprises s'avèrent souvent de petite taille, elles ont des difficultés à financer leur cycle d'exploitation.
Enfin, des conflits d'usage entre le bois énergie, le bois d'œuvre, le bois d'industrie compliquent les approvisionnements et tirent les prix du bois à la hausse.
AE : Comment contourner ces difficultés ?
PG : Pour contourner cela, des aides pourraient soutenir les entreprises dans le financement du cycle d'exploitation et du cycle d'investissement pour s'industrialiser, s'équiper.
Ainsi, le Fonds stratégique d'investissement bois peut prendre des participations dans les entreprises de la filière bois.
Une aide financière : le fonds stratégique d'investissement bois
Le fonds stratégique d'investissement bois vise le développement la consolidation des entreprises de la filière bois. Il concerne plus particulièrement les secteurs de la scierie, de la construction et de la production d'énergie. Il a été mis en place suite au rapport de Jean Puech sur la mise en valeur de la forêt française et le développement de la filière bois. Il est géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Ce fond n'attribue pas des subventions, mais apporte des fonds propres aux entreprises en prenant des participations minoritaires. Il est doté d'un montant initial de 20 M€ qui se décompose en une participation de 5 M€ chacun du Groupe Eiffage, du Crédit Agricole, du Fonds Stratégique d'Investissement et de l'Office national des forêts participations.
Pour réduire le nombre de propriétés forestières, des incitations fiscales pourraient encourager les exploitants à se regrouper sous forme de coopérative. Celle-ci pourrait alors mettre en place une politique de mobilisation de la ressource auprès de tous les adhérents. Cette option est en cours de discussion.
AE : Comme se présente le marché de l'incinération de la biomasse ?
PG : Dans l'incinération, le marché est mature, organisé. Il est composé par un nombre limité d'opérateurs comme Sita, Veolia, ou Tiru (1) .
La tendance est à la réduction du nombre d'incinérateur et à l'augmentation de leur taille unitaire du fait du durcissement des normes des émissions polluantes, de la recherche d'une taille critique (les coûts de production d'un incinérateur de grande taille sont plus faibles que ceux d'un système de petite taille) et des objectifs amélioration de l'efficacité énergétique.
En tant que responsables de la gestion des déchets, les collectivités locales peuvent inciter leurs délégataires à valoriser l'énergie des unités d'incinération notamment dans des unités de chauffage urbain. Elles peuvent aussi choisir la production d'électricité qui sera revendue au même tarif que pour l'énergie renouvelable puisqu'un incinérateur est considéré comme une filière de production d'énergie renouvelable sous certaines conditions.
Pour les prochaines années, nous allons atteindre un niveau plafond concernant la production d'énergie issue des incinérateurs car c'est très difficile aujourd'hui de construire de nouvelles unités : la position des riverains est assez hostile.
AE : Quelles perspectives pour le marché de la valorisation du biogaz ?
PG : Le potentiel est important. La méthanisation des ordures ménagères et la méthanisation agricole présentent la marge de croissance les plus importantes. Ce n'est cependant pas encore vraiment une voie de traitement car cela reste cher. Des problèmes techniques demeurent également : pour produire de l'énergie à partir du méthane, il faut assurer un flux constant dans le méthaniseur et la qualité des déchets à introduire doit également être constante. C'est assez compliqué. Nous pouvons valoriser le biogaz de décharge, de site industriel (agroalimentaire), agricole mais aussi au sein de stations d'épuration ou faire de la méthanisation des ordures ménagères. La valorisation du biogaz est une des filières des ENR qui a bénéficié d'un relèvement des aides publiques (notamment tarifs d'achat).