Les institutions de l'Union européenne (UE) ont réussi à "inverser la tendance à la hausse" des émissions de gaz à effet de serre (GES) de leurs bâtiments, mais "[elles] n'ont pas saisi l'occasion d'élaborer et de mettre en œuvre une politique commune afin de contribuer à l'objectif de l'Union pour 2020, qui est de réduire les émissions de 20% par rapport au niveau de 1990". Surtout, les réductions obtenues sont très incertaines et principalement liées à l'achat d'électricité renouvelable.
Plus grave, certaines institutions ne réalisent pas d'inventaires de leurs émissions et celles qui le font établissent des rapport lacunaires. En conséquence, "l'empreinte carbone totale des institutions et organes de l'UE n'est pas connue, et les informations fragmentaires disponibles risquent de porter atteinte à la crédibilité des déclarations".
Tel est le constat dressé par la Cour des comptes de l'Union européenne dans un rapport spécial (1) rendu public mercredi 15 octobre. Le document, intitulé "Comment les émissions de gaz à effet de serre sont-elles calculées, réduites et compensées par les institutions et organes de l'UE ?", passe en revue l'empreinte carbone de quinze institutions et organes (2) de l'UE, c'est-à-dire les institutions employant plus de 500 personnes, ainsi que l'Agence européenne à l'environnement (AEE).
La Cour considère que pour remédier aux problèmes qu'elle soulève, les institutions européennes devraient se fixer un objectif de réduction de leurs émissions à l'horizon 2030. De plus, elles devraient adopter une déclaration harmonisée de leurs émissions (en incluant toutes les émissions indirectes pertinentes), élaborer une compensation commune de leurs émissions (sur la base du volontariat) et exploiter pleinement les outils de gestion environnementale dont l'utilisation est encouragée par la Commission, notamment en matière de marchés publics écologiques.
Conseil et Commission pointés du doigt
L'Emas, promu par la Commission mais peu appliqué
L'un des symboles des problèmes soulevés par la Cour est la faible utilisation du Système de management environnemental et d'audit (Emas) issu de la règlementation européenne. "La Commission soutient la promotion du système" notamment parce qu'elle considère qu'il s'agit de "l'outil de gestion environnementale le plus crédible et le plus solide disponible sur le marché".
Mais, dans les faits, seules sept des quinze institutions auditées utilisent ce système en 2014. Si l'AEE, la Banque centrale européenne, le Comité économique et social européen et le Comité des régions de l'Union européenne sont certifiés Emas pour l'ensemble de leurs bâtiments, les autres institutions y ont recours de façon beaucoup plus partielle.
Quant à la Commission, elle ne l'applique qu'à 57% des surfaces de bâtiments dont elle dispose. Ainsi, aucun des locaux de représentation dans les Etats membres ou des agences exécutives n'est certifié Emas. "Les retards [dans l'application d'Emas par la Commission] sont également imputables à un processus de décision lent et à la faible priorité accordée à cette question en termes de ressources humaines disponibles", constate la Cour.
Quant aux neuf institutions ayant réalisé un bilan carbone en 2012, "les calculs ou les déclarations (…) n'étaient pas exhaustifs". Ainsi, l'empreinte carbone de la Commission européenne (42.911 tonnes de CO2 équivalent) se limite à une évaluation de l'énergie consommée dans un peu plus de la moitié de ses bâtiments (4) et par les voitures de service. Rien sur les déplacements domicile – travail, sur les déplacements professionnels effectués par d'autres moyens que les véhicules de service, sur les achats de fournitures et de services, ou encore sur les déchets… Il semble par ailleurs que la Commission ne soit pas pressée de publier ses émissions de GES. Elle "n'a pas encore lancé le processus d'élaboration des règles sectorielles pour le calcul de l'empreinte environnementale d'organisation (RSEEO) des administrations publiques" et, surtout, l'utilisation de la future méthode par l'exécutif européen "fait (…) l'objet d'une analyse plus approfondie". Officiellement, les ressources nécessaires à la réalisation d'un bilan carbone de qualité posent problème à l'exécutif européen.
L'AEE, l'agence dédiée à la politique environnementale européenne, présente un bilan qui ne couvre correctement que les déplacements du personnel (hors déplacement domicile – travail) et des visiteurs, ainsi qu'une estimation globale sur trois ans des émissions de son parc immobilier.
En revanche, le Parlement (91.893 tonnes de CO2 équivalent) fait figure de très bon élève : seuls les déplacements des membres du Parlement entre Bruxelles et Strasbourg ne sont pas rapportés. Il s'agit de l'empreinte carbone à la fois la plus compète et la plus fiable, parmi les quinze institutions étudiées.
Des réductions hypothétiques depuis 2005
"En l'absence d'informations exhaustives et fiables sur la taille réelle de l'empreinte carbone des institutions et organes de l'UE, il est difficile de définir des tendances générales en ce qui concerne leurs émissions de GES", constate la Cour. Ainsi, pour mettre en lumière d'éventuels progrès, les auditeurs de la Cour ont dû recourir à "des hypothèses plausibles, mais qui ne sont étayées que par peu d'éléments probants".
De plus, alors que la politique européenne en matière de climat prend l'année 1990 comme référence, les institutions européennes n'utilisent pas cette base, faute de connaître la situation initiale. Toutefois, "certains éléments laissent supposer" que les émissions globales des institutions européenne "ont considérablement augmenté" de 1990 à 2005. En cause ? L'élargissement de l'UE, l'amplification des activités des institutions et la création de nouvelles entités.
A partir de 2006, il semble qu'un "revirement" se soit produit pour réduire les émissions de GES des instances européennes. Mais, il est centré sur les émissions liées à la consommation d'énergie dans les bâtiments. La réduction n'est cependant pas liée à des efforts de rénovation énergétique, mais plutôt à l'achat d'électricité verte à partir de 2007 qui est généralement considéré comme représentant une émission égale à zéro. "L'effet d'atténuation de l'électricité verte sur le calcul de l'empreinte carbone globale est estimé à environ 20%", constate la Cour.
Quant aux émissions liées à la mobilité, elles sont trop peu connues pour qu'une tendance puisse être dégagée. Cette lacune est d'autant plus dommageable que "si ces sources étaient prises en compte, les émissions liées à la mobilité représenteraient au moins la moitié des émissions totales que doivent déclarer les institutions et organes de l'UE".
Enfin, la Cour fait un dernier constat : "En 2013, plus de la moitié des institutions et organes de l'UE n'avaient pas fixé d'objectifs quantifiés pour la réduction de leurs émissions de GES". Lorsque des objectifs sont fixés, ils se limitent à des activités spécifiques, à des sources d'émissions ou à des objectifs généraux.