Le 25 octobre dernier, RTE, le gestionnaire du réseau électrique français, a publié son rapport « Futurs énergétiques 2050 ». Bien que le rapport contienne divers scénarios de mix électrique et de consommation énergétique pour parvenir à la neutralité carbone en 2050, RTE s'était alors surtout focalisé sur sa trajectoire prospective dite « de référence ». À l'occasion d'une première séance de décryptage, il s'est aujourd'hui attardé à détailler davantage les autres futurs possibles qu'il a imaginé.
Consommer moins d'énergie mais plus d'électricité
« La trajectoire de consommation électrique résulte d'une modélisation reprenant l'esprit de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) et adaptée pour tenir compte de l'actualisation des perspectives techniques et des retours de la consultation publique, souligne Thomas Veyrenc, directeur exécutif chargé du pôle stratégie et prospective chez RTE. Elle traduit aussi une volonté de la France de se garantir un degré élevé d'indépendance énergétique et de ne compter qu'en dernier recours sur la capture et le stockage du carbone. » Pour rappel, les scénarios formulés par RTE (1) s'appuient sur l'objectif fixé par la SNBC de réduire de 40 % la consommation d'énergie finale dans trente ans et, par la même, de faire fi des énergies fossiles.
Face à cet impératif, le gestionnaire prévoit (en moyenne, à travers sa trajectoire de référence) une augmentation de 35 % de la consommation d'électricité à cette échéance, pour atteindre 645 térawattheures par an (TWh/an) sur une consommation énergétique totale d'environ 930 TWh/an. En 2019, avant les biais de calcul induits par la crise sanitaire de la Covid-19, la consommation d'électricité atteignait 475 TWh/an (pour un total d'environ 1 600 TWh/an d'énergie consommée), traduisant une certaine stabilité.
Entre électrification massive et efficacité énergétique
Cette hausse en 2050, RTE l'explique selon quatre facteurs. En premier lieu, les croissances démographique et économique attendues provoqueront un « effet volume », ajoutant 47 TWh/an au compteur. Une autre tendance, due au réchauffement climatique, est une plus faible dépendance au chauffage, estimée à - 7 TWh/an, et une plus forte demande de climatisation-ventilation, évaluée à 6 TWh/an de plus. Deux autres facteurs pèsent encore davantage dans la balance : l'électrification massive des usages, d'un côté, et l'efficacité énergétique, de l'autre.
La première, calculée à une augmentation de 324 TWh/an d'électricité consommée, fait la plus grande différence. « Certes, cela constitue une rupture par rapport aux dix dernières années où la tendance d'évolution de la consommation a été stable, mais pour atteindre la neutralité carbone, il s'agit de remplacer les énergies fossiles par de l'électricité dans les secteurs les plus émetteurs ou demandeurs : les transports, l'industrie et, bientôt, la production d'hydrogène, déclare Thomas Veyrenc. Cette augmentation sera en partie contenue par l'efficacité énergétique dans tous les secteurs et, en particulier, dans le tertiaire et le résidentiel, conditionnée à la réussite de la rénovation énergétique nécessaire des bâtiments. »
Cette réduction de la consommation s'appuie, en outre, sur une division par quatre de la consommation pour l'éclairage et sur des évolutions technologiques déjà entamées (comme le recours aux ampoules leds), même en intégrant une tendance au suréquipement dans les matériels informatiques.
Côté électrification, le cheptel de 38 millions de véhicules légers sera composé à 95 % de voitures électriques ou hybrides. En parallèle, plus de la moitié des autobus et autocars ainsi que plus de 20 % des camions seront électriques en 2050.
Quels leviers pour la sobriété énergétique ?
En dehors de cette trajectoire de référence, RTE a également imaginé l'éventualité d'une augmentation limitée de la consommation électrique, en réponse à une sobriété systémique. Le taux de consommation électrique de cette trajectoire alternative s'élève à « seulement » 555 TWh/an. « Contrairement à l'efficacité, qui s'opère à un niveau de confort et de service inchangé, la sobriété suppose de consommer moins d'énergie, donc de réduire les déplacements et de changer les usages dans nos modes de vie ou de production, précise Thomas Veyrenc. Elle ne repose pas sur la privation, mais suppose, par exemple, une réorganisation de la ville pour offrir davantage de services à proximité. »
Pour parvenir à cette différence négative de 90 TWh/an avec la trajectoire de référence, RTE a identifié des leviers, souvent « contre-tendanciels », dans quatre principaux secteurs : le résidentiel, le tertiaire, les transports et l'industrie. Au sein du premier, le respect d'une telle trajectoire de sobriété nécessite, entre autres, davantage de cohabitation jusqu'à une hausse du nombre de personnes par ménage (de 2,3 en moyenne en 2050, contre 2,2 aujourd'hui), ce qui va à l'encontre de la tendance actuelle. Cela passe aussi par une baisse de la température de chauffage d'au moins 1 °C et de l'usage de l'eau chaude sanitaire de 30 %. Dans le tertiaire, la sobriété signifie de porter à 50 % le temps de télétravail (contre 20 % dans la trajectoire de référence) ou encore de réduire de 10 % la consommation électrique des équipements de bureau.
Dans le secteur industriel, la trajectoire de sobriété compte sur un plus grand recours aux circuits courts, sur une réduction du nombre de bâtiments construits et sur un allongement de la durée de vie des équipements. Par ailleurs, au-delà d'un volume réduit de déplacements permis par le télétravail ou les circuits courts, le secteur des transports ne pourra se permettre de maintenir le parc automobile actuel : RTE prévoit une disparition de 12 millions de véhicules légers en 2050. Cependant, d'après le gestionnaire, ce choix de la sobriété dépend largement des politiques publiques, en plus des choix individuels des citoyens. Que se passera-t-il si les habitudes de vie des citoyens n'évoluaient pas dans le sens de ce qui est anticipé dans le scénario sobriété ? Les analystes du gestionnaire de réseau confient ne pas avoir encore la réponse à cette question, mais promettent d'y réfléchir en amont de la parution des compléments à l'étude prévus pour début 2022.
Relocaliser l'industrie pour moins émettre ?
L'autre grande trajectoire avancée par RTE consiste à accentuer les politiques de réindustrialisation actuellement à l'œuvre, concernant l'hydrogène et le nucléaire. Elle a été formulée par RTE et atteint plusieurs objectifs économiques : augmenter le PIB de 5 % en 2050, le poids de l'industrie manufacturière française de 12 à 13 % (au lieu de 10 % aujourd'hui et dans la trajectoire de référence), mais aussi d'obtenir un solde commercial « très largement positif » (à savoir, exporter beaucoup plus qu'importer), favoriser ainsi une politique économique de relocalisation nécessiterait 755 TWh/an d'électricité.
La production d'hydrogène compterait pour 87 TWh/an de consommation électrique (contre 50 TWh/an dans la trajectoire de référence), ne serait-ce que pour subvenir à la moitié des besoins industriels en combustibles additionnels en France. Une variante, intitulée « hydrogène+ » dans le rapport, estime, quant à elle, à 171 TWh/an la consommation électrique nécessaire à une plus forte mobilisation de l'hydrogène (sur un total de 754 TWh/an d'électricité consommée en 2050).
Accélérer l'électrification pour répondre au « Fit-for-55 »
Enfin, pour répondre aux nouvelles directives européennes à horizon 2030 du paquet « Fit-for-55 », RTE s'est attelé à ajouter une trajectoire de consommation supplémentaire. Pour cibler efficacement et rapidement une réduction de 47,5 % des émissions nettes de gaz à effet de serre de la France (par rapport à 1990) en moins de dix ans, cette trajectoire « accélération 2030 » cible principalement une électrification intensifiée du secteur des transports. « La transformation du secteur des transports permet de décarboner plus rapidement car c'est celui qui émet le plus et présente un taux de renouvellement des équipements le plus rapide », affirme Thomas Veyrenc, de RTE.
Pour cela, RTE préconise d'atteindre 50 % de véhicules électriques vendus dès 2025 (plutôt que 2029, dans sa trajectoire de référence), afin d'anticiper de dix ans l'interdiction à la vente des voitures thermiques envisagée par la Commission européenne. Ce chiffre participerait à une augmentation de 38 TWh/an d'électricité consommée, en comparaison avec la trajectoire de référence.