« (Nos) constats sont susceptibles de remettre en question la stratégie globale de l'action publique environnementale visant l'absence de perte nette de biodiversité. » Ils émanent d'une étude (1) , publiée le 15 février dans la revue numérique Cybergeo et menée par deux chercheurs du laboratoire patrimoine naturel (Patrinat) du Muséum national d'histoire naturelle et un troisième du laboratoire cités, territoires, environnement et sociétés (Citeres) de l'université de Tours. Ces derniers ont évalué la pertinence géographique et écologique de l'ensemble des sites de compensation installés en France métropolitaine depuis leur instauration avec la loi Biodiversité de 2016. Pertinence qui n'est, le plus souvent, pas au rendez-vous.
Une trop faible ambition écologique
Au total, la plateforme Géoportail de l'Institut national de géographie (IGN) recense 2 840 sites, correspondant à 1 153 mesures compensatoires prises entre le 1er janvier 2017 et le 15 mars 2021. L'ensemble de ces sites représente une surface d'environ 10 300 hectares (soit 0,02 % du territoire hexagonal), mais leur taille moyenne n'est que de 0,41 hectare. « La majorité des sites de compensation de notre échantillon représentent de très petites surfaces, attestent les trois chercheurs. Dans de nombreux cas, ces petits sites sont dédiés à la réalisation de mesures localisées, comme la création de mares ou la pose d'hibernacles pour les reptiles et amphibiens. À l'inverse, les sites avec la plus grande surface sont dédiés à des actions de gestion conservatoire ou à la mise en place d'îlots de sénescence. »
Pour déterminer la « plus-value écologique » de ces sites, les scientifiques ont croisé leurs localisations avec les données cartographiques correspondantes sur le portail Cartnat de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Celui-ci donne une estimation de la « naturalité potentielle » de chaque pixel de la carte de France, principalement en fonction de deux facteurs : la « bonne intégrité biophysique » de la zone, c'est-à-dire sa préservation des usages et transformations anthropiques ; et sa « qualité écologique », à savoir le gain écosystémique potentiel que ce site peut représenter pour les paysages et la biodiversité aux alentours.
Dans leur analyse, les auteurs de l'étude ont ainsi conféré à chaque site un score pour ces deux paramètres. Résultat ? La majorité des sites de compensation écologique se trouvent, d'une part, dans des espaces dont l'intégrité biophysique est drastiquement meilleure (un score médian de 145) que la moyenne nationale (71) ; et, d'autre part, sont entourés de paysages à la qualité écologique bien supérieure (score moyen de 144 pour les sites environnants, contre 87 pour les sites de compensation et 94 pour la moyenne nationale). Autrement dit, dans la grande majorité des cas, non seulement les sites de compensation existants ne sont pas de nature à regénérer des milieux artificialisés mais ils ne sont pas non plus susceptibles d'entraîner un véritable regain de biodiversité.
Une réponse purement administrative ?
Ces estimations soulignent un réel « manque d'ambition », selon les chercheurs, « symptôme d'un processus centré sur les objectifs administratifs imposés aux maîtres d'ouvrage pour obtenir l'autorisation de leurs projets ». D'après leur étude, 90 % des mesures compensatoires relevées ont été prises au titre, soit d'une dérogation à l'interdiction de destruction d'une espèce protégée, soit dans le cadre d'un dossier dit d'application de la loi sur l'eau (en référence à la directive-cadre européenne sur l'eau, ou DCE, de 2000). Par conséquent, la plupart des actions réalisées sont « simples, éprouvées et relativement peu coûteuses (creusement de mare, installation de gîtes ou réouverture de milieux enfrichés) » et ne ciblent qu'un « paramètre précis du cycle de vie d'une espèce ou de la présence d'une zone humide », en vertu d'une simple obligation de résultat, constatent les chercheurs.
Pour eux, les mesures de compensation choisies ne « cherchent pas à générer un gain sur l'ensemble des fonctions (écologiques) et des habitats qui composent (les) sites » et apparaissent ainsi « en décalage avec la destruction et la fragmentation d'espaces naturels » entraînées par les ouvrages à compenser, souvent construits sur des surfaces bien plus grandes que les sites de compensation correspondants. Et ce, alors même, rappellent les chercheurs, que le code de l'environnement ne limite pas ces démarches aux espèces protégées ou aux zones humides ou aux milieux aquatiques. Par conséquent, cette situation, concluent les scientifiques dans leur étude, « transforme la compensation en une action trop localisée, à faible contribution pour la biodiversité, et qui vise prioritairement à répondre à des critères réglementaires précis », et conduit à autoriser des projets « qui ne démontrent pas le respect des objectifs réglementaires de neutralité écologique [à laquelle doit conduire le respect de la séquence éviter-réduire-compenser ; NLDR], (…) faute d'un mouvement jurisprudentiel qui pourrait renforcer la dimension préventive de ces mesures ».