Entre le 1er janvier et le 4 mars 2020, la France a émis autant de gaz à effet de serre qu'elle aurait dû en émettre en un an si elle respectait son objectif de neutralité carbone. C'est le constat effectué par le cabinet de conseil indépendant Carbone 4 pour les quatre associations de « l'Affaire du siècle » (GreenPeace France, Oxfam France, la Fondation Nicolas Hulot et Notre affaire à tous), engagés depuis décembre 2018 dans un recours juridique contre l'État pour inaction climatique.
En deux mois et quatre jours, la France a donc émis 80 millions de tonnes de CO2, soit la quantité maximum de CO2 que les puits de carbone français sont en capacité d'absorber. « L'État français entame son découvert », s'alarme Cécile Ostria, directrice générale de la Fondation Nicolas Hulot. Au total, selon Carbone 4, la France devrait émettre 450 millions de tonnes équivalent CO2 en 2020… Près de six fois plus que ce qu'elle peut séquestrer.
La date de ce « jour du dérèglement » a été calculée à partir d'une estimation des émissions de 2020. Ces calculs ne prennent cependant pas en compte ni le CO2 importé, ni les émissions générées par le transport aérien et maritime, qui avanceraient encore cette date. Carbone 4 a fixé la limite d'émissions annuelles à 80 millions de tonnes en s'appuyant sur les objectifs fixés par l'État dans sa « Stratégie nationale bas carbone », qui précise qu'en 2050, date à laquelle l'État s'est engagé à atteindre la neutralité carbone, les émissions de gaz à effet de serre ne pourront pas dépasser 79 millions de tonnes de CO2 par an.
75 % des efforts nécessaires entre les mains des politiques
L'idée de ce jour du dérèglement est avant tout de sensibiliser au long chemin qu'il reste à parcourir pour atteindre la neutralité carbone en 2050, et dénoncer la « léthargie » de l'État en la matière. « Au niveau des efforts actuels, la neutralité carbone ne sera atteinte qu'en 2085 », s'inquiète Jean-François Julliard, directeur général de GreenPeace France. « La date du jour du dérèglement n'a reculé que de deux jours depuis au moins quatre ans », abonde Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France. « Les actions entreprises par l'État ne sont pas à l'échelle du problème. Les petits efforts qui ne permettent d'avancer cette date que d'une demie journée, ça ne suffit pas. »
Le collectif souhaite utiliser le concept du « jour du dérèglement » comme un outil pour évaluer, au fil des ans, l'impact concret des mesures annoncées par le Gouvernement sur les émissions de gaz à effet de serre. « Le but, c'est de reculer la date le plus possible », précise Jean-François Julliard. Et de proposer quelques pistes : « Arrêter de financer les énergies fossiles et offrir une fiscalité favorable aux activités polluantes, revoir en profondeur nos modes de consommation… Ce sont des préalables si on veut que le jour du dérèglement soit le 31 décembre. »