En effet, alors que le rapport du Groupe I** consistait à chiffrer la responsabilité des activités humaines et préciser l'ordre de grandeur du réchauffement à venir, le rapport du Groupe II revêt un caractère encore plus polémique, car en demi-teinte du bilan des difficultés non seulement environnementales, mais aussi économiques et sociales à venir, se profilent d'ores et déjà les notions de responsabilités.
Ainsi, selon l'AFP, les Etats-Unis ont demandé et obtenu l'élimination d'un paragraphe indiquant que l'Amérique du Nord devrait être localement confrontée à de graves dommages économiques et à des perturbations substantielles de son système socio-économique et culturel. Quant à la Chine, toujours selon l'agence de presse, elle s'est opposée à un paragraphe soulignant le risque très élevé, basé sur de nombreuses observations et preuves dans tous les pays et la plupart des océans, que de nombreux systèmes naturels soient affectés par les changements climatiques […], contestant le caractère très élevé du risque. La Lettre de la SNDD*** rapporte que l'un des deux principaux auteurs du résumé, M. Parry (Royaume-Uni), a concédé que d'une manière générale certains passages du projet initial avaient perdu de leur force lors de l'adoption du document. Selon la lettre, le scientifique britannique aurait également confirmé indirectement des ingérences politiques : en privé plusieurs délégués européens auraient pointé leurs collègues chinois et saoudiens et relevé l'attitude pointilleuse des représentants de l'administration Bush. Selon Greenpeace, une conclusion édulcorée a été adoptée malgré les objections scientifiques fondamentales exprimées par les auteurs du rapport du GIEC, tout en ajoutant qu'il s'agissait d'une première dans l'histoire du GIEC depuis 1988 et qu'elle traduisait une évolution dangereuse et préjudiciable.
Mais même après ces âpres négociations, le résumé**** reste particulièrement alarmant ! De nombreux milieux naturels seront particulièrement touchés par le changement climatique comme toundra, forêts boréales, montagnes et végétation « de type méditerranéen » sur les continents, palétuviers et marais salants sur les côtes, récifs coralliens en mer des régions tropicales et glaces des régions polaires. Au-delà de 1,5 à 2,5 °C, le réchauffement entraînera un risque accru d'extinction irréversible d'espèces animales et végétales allant de 20 à 30 % . Les récifs coralliens ne seront pas épargnés : la plupart seront blanchis dès que la température aura dépassé de 1 degré son niveau de 1990 et la plupart mourront après un réchauffement de 2,5 degrés.
Le GIEC évalue par ailleurs avec plus de précision que dans ses rapports antérieurs les impacts du réchauffement à l'échelle régionale. Il définit notamment quatre régions particulièrement sensibles : l'Arctique, l'Afrique, les petites îles et les grands deltas asiatiques. Alors que l'Arctique sera touché en raison d'un réchauffement plus élevé que partout ailleurs, l'Afrique sera frappée notamment en raison de sa faible capacité actuelle à s'adapter aux conséquences du réchauffement. En Asie, la fonte des glaciers de l'Himalaya multipliera les inondations et perturbera les ressources en eau. Le changement climatique réduira les ressources en eau dans de nombreuses petites îles notamment des Caraïbes et du Pacifique de sorte qu'elles deviendront insuffisantes pour satisfaire à la demande.
Les experts confirment par ailleurs les impacts négatifs du changement climatique pour l'Europe. Parmi ceux-ci figurent l'augmentation des risques d'inondations violentes, des inondations côtières plus fréquentes et une augmentation de l'érosion. Les régions montagneuses verront notamment les glaciers se retirer et la couverture neigeuse se réduire impactant les écosystèmes et les ressources économiques de ces régions.
Les scientifiques préviennent également que ce seront les populations les plus pauvres, même dans des sociétés prospères, qui seront les plus vulnérables au changement climatique. Le GIEC prévoit une augmentation des maladies diarrhéiques, un nombre accru de décès, d'affections et de blessures dus aux canicules, inondations, tempêtes, incendies et sécheresses ainsi qu'une fréquence plus importante de maladies cardio-respiratoires liée à l'accroissement des niveaux d'ozone troposphérique.
Le GIEC dresse également la longue liste impacts économiques et sociaux (accès à l'eau, ressources énergétiques, rendements agricoles, mouvements de populations…) que les événements météorologiques extrêmes tels que canicules, inondations, sécheresses, cyclones tropicaux, élévation extrême du niveau de la mer pourraient avoir dans la seconde moitié du 21ème siècle.
Outre les forts coûts engendrés par le réchauffement climatique, celui-ci modifiera largement la répartition des ressources : la productivité de quelques céréales aura par exemple tendance à augmenter pour les moyennes et hautes latitudes jusqu'à environ 2 à 2,5 degrés de réchauffement (par rapport à 1990) alors qu'elle diminuera très rapidement dans les basses latitudes. Toutefois, à partir de 2,5-3 degrés la productivité de toutes les céréales diminuera !
Par ailleurs, alors que les régions de « stress hydrique » (moins de 1.700 m3 d'eau par habitant et par an, selon les normes de l'ONU) vont voir leur situation s'aggraver, les régions tropicales humides (équatoriales ou proches de l'équateur) vont connaître des risques accrus d'inondations, notamment les régions très peuplées d'Asie orientale et d'Asie du Sud-est.
À ce titre, le nombre de victimes d'inondations pourrait augmenter de deux à sept millions de personnes chaque année tandis qu'à l'horizon 2080, les sécheresses, la dégradation et la salinisation des sols pourraient conduire 3,2 milliards d'hommes à manquer d'eau et 600 millions à souffrir de la faim !
C'est dans ce contexte que le dernier Groupe de travail (III) du GIEC qui a pour mission d'évaluer les solutions envisageables pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ou atténuer de toute autre manière les changements climatiques, se retrouvera à Bangkok, du 30 avril au 3 mai. Une synthèse de l'ensemble des trois groupes de travail sera faite dans le cadre d'une réunion plénière, à Valence en Espagne, du 12 au 16 novembre. L'ensemble des travaux livrera les derniers enseignements scientifiques concernant le changement climatique et s'attardera, notamment sur les conséquences de celui-ci en matière de développement durable.
Face à ces perspectives, les politiques ont clairement la responsabilité de tout mettre en œuvre pour limiter les impacts du réchauffement pour les prochaines décennies. Pour Hans Verolme, directeur du programme Climat au WWF International, l'urgence de ce rapport doit amener une réponse du même ordre de la part des gouvernants. Ne nous voilons pas la face : le réchauffement apportera la faim, des pénuries d'eau et des inondations. Ne rien faire n'est pas une option envisageable et aurait des conséquences dévastatrices, poursuit-il. Les pays industrialisés doivent simplement accepter de prendre leurs responsabilités et commencer à mettre en œuvre des solutions, a-t-il ajouté.
D'ailleurs, suite à la publication du rapport, la chancelière allemande Angela Merkel, dont le pays préside ce semestre l'Union européenne, a réclamé une action rapide et énergique de la communauté internationale pour protéger l'environnement.
Jacques Chirac, Président de la République, pour quelques jours encore, a quant à lui indiqué dans un communiqué, que la France appelait l'ensemble des pays à endosser l'objectif de division par deux des émissions mondiales de gaz à effet de serre d'ici 2050 tout en rappelant que le Conseil européen des 8 et 9 mars dernier avait décidé, pour l'UE, d'une réduction des émissions de gaz à effet de serre avec pour l'Union l'objectif d'une diminution de 20 % des émissions d'ici 2020.
Cet engagement européen pouvant s'élever à 30 % si les autres pays industrialisés suivaient cet exemple, gageons que le Climat tiendra une place centrale au prochain sommet du G8 organisé en juin en Allemagne.
Voir notre dossier sur le GIEC
** « Bilan 2007 des changements climatiques : les bases scientifiques physiques »
*** Numéro 17 du 6 avril 2007
**** Résumé à l'intention des Décideurs du quatrième rapport du Groupe