Depuis les années 50 et le programme « Atome pour la Paix » lancé par le président des Etats-Unis Eisenhower en 1953, l'irradiation des aliments s'inscrit dans le versant pacifique d'une technologie nucléaire pouvant sauver des vies plutôt qu'en détruire. En 1961, trois agences internationales, - l'OMS (Organisation mondiale de la santé), la FAO (Organisation des Nations unies pour l'agriculture et alimentation) et l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique) - se réunissaient pour la première rencontre internationale sur l'irradiation des aliments à Bruxelles. Les délibérations qui s'en sont suivies ont abouti à une déclaration commune de ces instances, concluant que tout aliment pouvait être irradié et était sans danger pour l'alimentation humaine. L'acceptabilité de cette technologie ne relevait plus désormais que d'une opération de marketing : un rapport commandé par l'AIEA en 1982 préconisait d'éviter les termes d'« irradiation » ou « rayonnement ». Depuis, l'appellation, plus neutre, de « ionisation » est devenue de rigueur. Tabou de l'industrie agroalimentaire, l'irradiation des aliments est une pratique mondialisée, inhérente au système productif actuel adossé à la globalisation économique et à la grande distribution.
Qu'en est-il des risques sanitaires de cette pratique ? Sur le plan sanitaire, des risques non négligeables ont été envisagés par quelques études indépendantes : l'irradiation provoque une perte de vitamines importante dans les aliments (notamment les vitamines A, B1, C et E), ainsi que des risques de cancérogenèse et de mutagenèse dus à la prolifération de radicaux libres et de molécules nouvelles au sein de l'aliment irradié. Des scientifiques ont souligné le manque de données fiables pour évaluer le risque réel lié à la consommation d'aliments irradiés. Dans un dossier daté de juillet 2006, la revue médicale indépendante Prescrire constate que ''des inconnues subsistent sur les effets à long terme d'une consommation à grande échelle d'aliments irradiés''. Un avis de l'AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) publié le 26 septembre 2007 s'intéresse au traitement ionisant des emballages destinés au contact alimentaire : ''ce traitement induit des réactions chimiques dont les produits sont susceptibles de migrer dans les aliments. Les propriétés toxiques de ces produits ne sont pas toujours caractérisées''. Président de la CRII-RAD (Commission indépendante de recherche sur la radioactivité), Roland Desbordes, ne fait pas dans l'euphémisme : ''il s'agit d'une énergie de destruction transférée à la matière. On obtient des ions et des radicaux libres, qui sont des molécules coupées en morceaux. Comme deux morceaux de bras, elles vont chercher à se combiner pour former une nouvelle molécule et en fabriquer de nouvelles : ce sont des produits néoformés dans la matière, qui vont en ralentir le mûrissement''. Certains virus y résistent, comme l'ESB, certains fruits, comme la fraise et les végétaux contenant beaucoup d'eau s'effondrent au bout de deux irradiations. En novembre 2008, des produits d'alimentation animale pour les chats ont été retirés du marché en Australie par l'entreprise Champion Petfoods Ltd. Une enquête du groupement de vétérinaires australiens a en effet constaté des troubles neurologiques sur des chats nourris avec des aliments irradiés à doses élevées par cette firme.
Un laxisme préoccupant
Malgré ces risques potentiels pour la santé des consommateurs, il est aujourd'hui impossible de connaître la quantité d'aliments irradiés commercialisés dans l'Union européenne, et notamment en France. On compte 22 unités d'irradiation dans 11 Etats membres, par ailleurs dotés d'installations nucléaires civiles. France, Belgique et Pays-Bas sont en tête des volumes déclarés, lesquels sont composés principalement de cuisses de grenouilles, d'herbes et épices, et de volaille. Depuis 1999, une directive européenne établit la liste communautaire des aliments pouvant être ionisés. Cette liste ne comprend que les herbes aromatiques séchées, les épices et les condiments. Depuis son adoption, cette liste communautaire devrait être complétée et actualisée. Or les Etats-membres traitent des produits qui ne figurent pas dans leur liste de produits autorisés. Selon les deux derniers rapports de la Commission européenne (2006 et 2007), les démarches de contrôle des produits commercialisés sont très variables d'un Etat membre à l'autre. L'Allemagne reste le pays qui effectue le plus de contrôles (4.137 échantillons en 2006, 3.744 en 2007). En France, seuls 216 échantillons ont été contrôlés en 2006, 117 échantillons en 2007. Selon le Collectif français contre l'irradiation des aliments, 'les contrôles au stade de la commercialisation sont incohérents, disparates, variant d'une année sur l'autre et d'un pays à l'autre, et sans règles communes, ce qui rend une réelle évaluation quasi impossible1 ''.
Même si les quantités irradiées localement ne semblent pas augmenter, l'accélération du commerce international met sur le marché européen des produits exotiques susceptibles d'être irradiés comme les crevettes, les cuisses de grenouille ou la viande de volaille. Le Collectif contre l'irradiation des aliments réclame des contrôles par la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) à l'importation et à la commercialisation, et l'application de sanctions sévères en cas de fraude. Mais des exigences politiques trop élevées rendraient l'Union européenne passible d'une plainte déposée à l'Organisation mondiale du commerce, comme dans l'affaire du bœuf aux hormones.