Dans le cadre des travaux menés sur les futures stratégie nationale bas carbone (SNBC) et programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) a présenté aux parties prenantes, le 10 avril, un "exercice de scénarisation" pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (appelé AMS2018). L'idée : décliner dans tous les secteurs (énergie, transports, agriculture, déchets, industrie…) les grands objectifs de la loi relative à la transition énergétique (réduction de la consommation, neutralité carbone, hausse des renouvelables et baisse du nucléaire…).
"Afin d'atteindre la neutralité carbone en 2050, le scénario repose sur les partis pris suivants : adoption d'efforts très ambitieux d'efficacité énergétique [… et] un recours réaliste aux technologies, en évitant de parier sur un développement massif des technologies dont le développement nécessite aujourd'hui des efforts de R&D importants", indique en préambule la DGEC. Une fois les mesures de réduction de la demande déclinées, le scénario se penche sur l'évolution du mix énergétique pour atteindre la neutralité carbone : "Afin d'obtenir une adéquation entre offre et demande, des conversions d'un vecteur énergétique à l'autre sont à imaginer". Cela passe par une plus forte mobilisation de la chaleur renouvelable et de la biomasse, mais aussi par une électrification de certains usages, notamment dans l'industrie ou dans la mobilité. Le scénario s'appuie notamment sur un fort développement du véhicule électrique.
Premiers leviers : efficacité énergétique et puits carbone
Rénovation au standard basse consommation de l'ensemble du parc immobilier existant en 2050, efficacité énergétique dans les transports (avec le développement des véhicules 3l/100 km) font partie des mesures qui permettront de réduire de moitié la demande énergétique à l'horizon 2050. Tous les secteurs sont mis à contribution, l'agriculture dans une moindre mesure.
Le scénario mise donc sur le stockage carbone des forêts et sols agricoles pour neutraliser les émissions de ce secteur. "La taille limitée du puits du secteur des terres (estimée à environ 50-60 MtCO2e à l'horizon 2050) ne peut servir qu'à compenser les émissions non-énergétiques incompressibles de l'agriculture (de l'ordre de 40-50 MtCO2e), de certains processus industriels et du secteur des déchets (environ 20 MtCO2e en première approche pour ces deux secteurs) ainsi que les fuites dues à l'utilisation de gaz (3 MtCO2e)". En revanche, la DGEC mise sur un recours modéré aux technologies de capture et stockage ou utilisation du carbone (CCS/CCU). Le potentiel est estimé entre 15 et 20 Mt. Pour le reste, "l'objectif de neutralité carbone impose donc de décarboner complètement la production d'énergie afin de ne plus avoir d'émission de gaz à effet de serre (GES) dans les secteurs en consommant".
Diversifier les vecteurs énergétiques
Pour y parvenir, le scénario mise sur tous les vecteurs. Mais, note la DGEC, "certains des besoins identifiés ne peuvent être réalisés que par certains vecteurs énergétiques". Les besoins en électricité spécifique représentent de l'ordre de 220 TWh, les besoins en combustibles (dans le transport aérien, maritime ou l'industrie) représentent environ 200 TWh.
"D'autres usages peuvent être couverts de manière relativement ouverte soit par de l'électricité soit par des combustibles : l'industrie pour les usages non spécifiques (de l'ordre de 200 TWh), le transport routier passagers et marchandises (de l'ordre de 100 TWh) et l'agriculture (de l'ordre de 30 TWh)". Finalement, le scénario anticipe une hausse des besoins en électricité pour décarboner totalement le mix énergétique.
100% d'ENR ou un "parc nucléaire conséquent" ?
"La production d'électricité a atteint 531 TWh en 2016, dont 473 TWh ont été consommés sur le territoire national. Au total, dans le scénario AMS2018 la production d'électricité décarbonée pourrait devoir atteindre entre 500 et 650 TWh en 2050", estime la DGEC. Le gisement technique (1) identifié pour les énergies renouvelables, bien supérieur aux besoins estimés, pourrait totalement y répondre, "mais nécessiterait pour la période au-delà de 2028 une forte accélération des rythmes de déploiement par rapport à ceux envisagés dans le cadre de la PPE ainsi que la disponibilité de nouveaux moyens de stockage et de flexibilité". Le power to gas est privilégié.
Le nucléaire, qui a produit entre 360 et 420 TWh ces dernières années, ne devrait plus fournir que 250 à 325 TWh pour répondre à l'objectif de baisse à 50% de la production d'électricité. Néanmoins, "cela nécessiterait un parc conséquent, avec à l'horizon 2050 de nouveaux réacteurs vu l'âge du parc actuel", souligne la DGEC.
Potentiels en biomasse, chaleur et gaz
La décarbonation du mix passera aussi par une forte mobilisation de la biomasse. "En 2015, le contenu énergétique de la biomasse mobilisée par des usages énergétiques était équivalent à 185 TWh. Après comparaison des différents scénarios prospectifs, il est pris pour hypothèse au sein du scénario un niveau de 400 à 450 TWh de ressources brutes en biomasse à l'horizon 2050", dont 190 TWh de biomasse agricole (y compris la biomasse issue de l'agroforesterie), 115 TWh de biomasse forestière, et 130 TWh de déchets, effluents d'élevage et autres résidus.
La production de chaleur renouvelable pourrait atteindre 100 à 150 TWh d'énergie finale. "Les contraintes techniques associées à ces énergies [géothermie, solaire thermique, pompes à chaleur] ne permettraient pas d'aller au-delà de ce potentiel".
La production de gaz décarboné doit être accélérée, mais celle-ci aussi est "contrainte par des ressources limitées alors que la demande pourrait vraisemblablement atteindre des niveaux importants". Le potentiel technico-économique de la production de biogaz et de méthanation doit être évalué dans les années à venir, note la DGEC. "S'il était confirmé que ce potentiel reste limité, cela posera la question des investissements et de la gestion des infrastructures gazières", conclut-elle.