Une étude de l'IDDRI, menée par Georg Caspary, auteur d'une thèse sur le sujet, pose la question de savoir si les systèmes de sécurité sociaux et environnementaux sont appliqués avec le même degré de rigueur par tous les types d'institutions financières publiques. Cette étude se fonde sur l'hypothèse que les banques multilatérales de développement parviennent à de bien meilleurs résultats que les institutions financières nationales en matière d'application de critères sociaux et environnementaux. Qu'il s'agisse du Fonds mondial pour l'environnement, de la Banque asiatique de développement, ou de la géante Banque mondiale, les institutions financières publiques sont financées totalement ou en majorité par l'argent public des pays membres de l'OCDE. Ces financements sont cruciaux dès lors qu'il s'agit de soutenir l'édification d'infrastructures dans les pays pauvres.
Une sélection de projets de barrages, financés par l'une ou l'autre des institutions financières publiques étudiées, illustre le degré variable de sécurité des chantiers et d'impact sur l'environnement. Clairement, selon M. Caspary, ce sont les initiatives portées par les fonds multilatéraux qui sont les plus cohérentes, pour la simple raison qu'elles sont les mieux coordonnées. Les grandes institutions multilatérales font un travail global, et pas seulement sur des projets individuels. La Banque mondiale compte un groupe de spécialistes reconnus prêts à se battre pour défendre des standards environnementaux élevés. L'approche est contextuelle et les interlocuteurs multiples, dans une démarche qui implique autant les acteurs de l'industrie que les ministres de l'environnement. L'intérêt de ce type d'approche intégrée est d'anticiper les mutations de l'environnement. On ne se contente plus d'anticiper les impacts d'une infrastructure sur l'environnement, mais on envisage désormais l'impact de l'environnement sur les infrastructures. Par exemple, quels seront les impacts du changement climatique dans 25 ans ? Comment anticiper les inondations possibles sur le tracé d'une future ligne de chemin de fer ?
De manière générale, les groupes d'intérêt, opposés à des standards sociaux et environnementaux élevés, ont une emprise plus grande sur les institutions nationales, parce que les ONG y sont moins présentes que dans les institutions bilatérales. Reste que les exigences de systèmes de sécurité de haut niveau sont très coûteuses et peuvent avoir pour effet pervers d'inciter les pays en développement à se tourner vers d'autres sources de financement. ''Dans les pays pauvres comme le Laos, il n'y a pas forcément de volonté politique de demander des normes. Or si on est trop exigeant, on court le risque de voir les pays s'orienter vers des financements forcément privés. Quelle est la capacité d'un petit pays comme le Laos d'imposer des standards à l'énorme Sino Hydro ? Sur une rivière, la Nam Ngum, au Laos, il y des projets en cascade, financés par les Chinois, les Thaïlandais et la Banque mondiale : on aboutit à quatre barrages, avec des distorsions environnementales et sociales hallucinantes. Sur le Mékong, il n'y a pas moins de 11 projets de barrages. Or les bailleurs multilatéraux se sont retirés, en raison de l'impact sur les poissons migrateurs. Reste 11 projets sur la base de financements privés, qui vont avoir des impacts considérables sur l'alimentation des habitants du bassin, basée sur la pêche'', s'interroge M. Fornage.
A moyen terme, il n'est pas sain de se reposer sur les seules institutions financières, et on a intérêt à travailler sur la gouvernance locale. Mieux vaut s'appuyer sur les populations locales pour le suivi des projets. Au Vietnam, des initiatives de partage des bénéfices voient le jour. Tout opérateur de barrage hydroélectrique devra affecter un pourcentage de son chiffre d'affaires au bénéfice des populations locales. Un mécanisme pérenne devra permettre de lutter contre l'érosion des bassins versants. Un projet de décret devrait déboucher sur une promulgation afin de mettre en œuvre ces politiques. Les ONG aussi peuvent veiller au suivi des projets. C'est le cas en Ouganda, autour du barrage de Bujagali, où l'ONG témoin Interaid veille au relogement des habitants. Reste que les ONG ne peuvent agir que sur les projets sur lesquels elles ont des informations, alors qu'elle n'en ont aucune de la part des opérateurs privés russes, chinois ou malais.