Il est tentant, peut-être pour des questions de responsabilité, de minimiser le rôle de l'incendie de Notre-Dame dans la pollution au plomb de la capitale. Ainsi, dans leur bilan de l'incendie à six mois, rendu public le 14 octobre, le préfet de région et l'Agence régionale de santé (ARS) parlent d'un risque « révélé en partie par cet incident à Notre-Dame ». Dans son plan d'actions contre la pollution à ce métal lourd annoncé le 18 septembre, la Ville de Paris insiste aussi largement sur la continuité de son plan santé environnement adopté en 2015, « alors que la phase de mesures et d'actions centrées sur le périmètre de Notre-Dame se termine », indique-t-elle.
Il est vrai que le risque plomb est présent de longue date dans la capitale, comme dans d'autres villes d'ailleurs, lié à diverses causes comme les sols pollués, les carburants, les peintures, les canalisations ou autres utilisations dans le bâtiment et les monuments historiques. Toutefois, grâce à une mise en perspective de données de prélèvements révélées par l'ARS depuis juillet et de prélèvements réalisés avant l'incendie par la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), l'association Robin des bois démontre « l'impact considérable de l'incendie » de Notre-Dame sur la pollution au plomb constatée à proximité de la cathédrale.
Des valeurs hallucinantes
L'ONG rappelle les niveaux de pollution hallucinants constatés autour de la cathédrale par les prélèvements effectués par le Laboratoire centrale de la préfecture de police (LCPP) et révélés par l'ARS courant juillet.
La concentration maximale atteint en effet 1 300 000 microgrammes par mètre carré (µg/m²) sur le point le plus contaminé sur le parvis. Soit 1 300 fois la valeur de 1 000 µg/m² retenue par l'arrêté du 12 mai 2009 relatif au contrôle des travaux en présence de plomb dans les logements. Et alors que le maximum constaté sur ce même parvis par la Drac n'était que de 200 µg/m² en juin 2018 au moment de l'installation du chantier de rénovation de la flèche de la cathédrale.
De manière générale, les résultats des prélèvements réalisés à cette dernière date, à proximité immédiate de la cathédrale, sont inférieurs au seuil de 1 000 µg/m², à l'exception de quatre prélèvements, dont le plus élevé atteint 5 145 µg/m². « La majorité de la voirie parisienne n'était pas contaminée par les poussières de plomb au-delà du seuil de 1 000 µg/m² avant l'incendie de Notre-Dame de Paris », conclut Jacky Bonnemains, président de Robin des bois, en s'appuyant sur une première campagne de prélèvement effectuée par la Drac en septembre 2017 à proximité des monuments historiques parisiens.
Point de repère
« Nous aurions aimé que ce seuil de 1 000 µg/m² soit pris comme référence. C'est d'ailleurs ce qu'a fait la Drac lors de sa campagne de 2017, les teneurs supérieures à ce seuil apparaissant en rouge sur sa carte », ajoute le représentant de l'ONG. Pourtant, l'ARS a défini une valeur d'action de 5 000 µg/m² compte tenu de l'absence de « norme établie » pour la présence de plomb dans les poussières déposées en surface. « Il s'agit d'un point de repère », explique l'ARS, qui indique prendre en compte l'exposition au plomb quelle que soit son origine, Notre-Dame ou autre.
Et de lister l'ensemble des mesures sanitaires prises depuis l'incendie : fermeture au public de la cathédrale et du parvis, mesures de gestion dans un périmètre de 500 mètres autour de la cathédrale dans un premier temps, communication des mesures de prévention et de nettoyage, incitation des riverains à effectuer des dépistages pour les enfants de moins de sept ans, etc.
Des prélèvements à l'intérieur des logements des riverains volontaires ont également été réalisés. « Certains prélèvements de poussières au taux de plomb jugé élevés, ainsi que le diagnostic début juin d'un enfant dont la plombémie dépassait le seuil de déclaration obligatoire de 50 µg/litre de sang, ont conduit l'Agence à intensifier son incitation au dépistage », indiquent la préfecture et l'ARS dans leur bilan sanitaire.
La valeur repère de 5 000 µg/m², ajoutent-elles, a pour objectif « d'étendre et d'orienter les investigations au-delà du premier périmètre de 500 m autour de la cathédrale ». L'ARS recommande des prélèvements complémentaires dans tous les établissements accueillant des enfants dans un périmètre de 300 mètres autour de chaque prélèvement de voirie dépassant ce seuil. Entre le 15 avril et le 30 septembre, 877 plombémies ont déjà été réalisées dans les cinq arrondissements avoisinant le site. Elles ont tout de même montré que 90 d'entre elles étaient supérieures au seuil de vigilance de 25 µg/L, dont douze au-dessus du seuil de déclaration obligatoire. « Sans exclure une exposition possible aux poussières issues de l'incendie, qui fait l'objet d'investigations complémentaires (…), des sources de plomb ont été identifiées dans l'environnement quotidien de presque tous les enfants dont la plombémie dépassait le seuil de déclaration obligatoire (…) », indique l'ARS.
"Gestion de crise minimisante"
Selon l'Agence, les mesures sanitaires fonctionnent, qu'il s'agisse des mesures de nettoyage, des consignes d'hygiène ou des réalisations de plombémies.
« Les mesures sont sous-dimensionnées », juge au contraire Jacky Bonnemains, qui parle de gestion de crise minimisante. « Qu'il s'agisse de Notre-Dame, de la station d'épuration d'Achères ou de Lubrizol, on n'arrive pas à dire où sont partis les polluants ? Que sont-ils devenus ? Quel est l'impact sur le long terme ? », interroge le responsable associatif.