La décision avait fait grand bruit le 10 juillet dernier. De nouveau saisi par Les Amis de la Terre, accompagnés de 77 autres requérants, le Conseil d'État avait laissé six mois au Gouvernement pour justifier qu'il avait pris les mesures nécessaires pour réduire la pollution de l'air dans huit zones qui ne respectaient pas la réglementation. À défaut, une astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard serait infligée. L'échéance du 11 janvier est derrière nous mais l'exécutif n'a jusque-là pas été inquiété.
Le Gouvernement devait remettre au Conseil d'État avant cette date les documents justifiant qu'il avait mis fin à la situation illégale. Le manquement consistait dans le non-respect d'une précédente décision de la Haute juridiction, prononcée le 12 juillet 2017. Par celle-ci, elle avait enjoint à l'exécutif de mettre en œuvre, dans treize agglomérations françaises et dans le délai le plus court possible, des plans permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote (NO2) et en particules fines (PM10) en-dessous des seuils fixés par la directive européenne sur la qualité de l'air ambiant.
En juillet dernier, le Conseil d'État a constaté que les valeurs limites restaient dépassées dans sept zones (Grenoble, Lyon, Strasbourg, Reims, Marseille-Aix, Toulouse, Paris) pour le dioxyde d'azote (NO2) et dans deux zones (Fort-de-France, Paris) pour les particules fines (PM10).
Les normes toujours pas respectées
« Alors que le délai accordé par le Conseil d'État a expiré, ces normes ne sont toujours pas respectées », pointe Marion Cubizolles des Amis la Terre. Dans un communiqué du 27 janvier, le ministère de la Transition écologique reconnaît lui-même que les dépassements persistent dans les huit zones. Mais il met en avant les progrès réalisés : concentrations « désormais très proches de la valeur limite réglementaire » à Grenoble, Reims et Strasbourg, et diminution significative de la population exposée aux effets du dépassement dans les autres territoires.
Le ministère indique avoir transmis au Conseil d'État le mémoire précisant les mesures adoptées. Mais cette transmission a eu lieu avec une quinzaine de jours de retard. « Cela dénote une forme de désinvolture », estime Louis Cofflard, avocat des Amis de la Terre. Dans son communiqué, Barbara Pompili vante « l'adoption de mesures structurantes dans les secteurs les plus émetteurs » : création de nouvelles zones à faibles émissions (ZFE) dès cette année, dont six dans les zones concernées par le contentieux, nouvelles mesures pour les mobilités propres (bonus écologique, prime à la conversion, soutien au déploiement des bornes de recharge), plan vélo et plan pour le développement du covoiturage, soutien des actions des collectivités locales dans le cadre des feuilles de route adoptées en 2018.
« Compliqué de toucher au trafic automobile »
Mais Les Amis de la Terre n'ont pas la même lecture. Pour l'ONG, le renforcement du cadre réglementaire autour des ZFE « ne propose pas de perspective de sortie des véhicules diesel puis essence », la loi de finances a entériné « une réforme a minima » de la fiscalité automobile, tandis que les budgets alloués aux alternatives à la voiture restent limités. Et ce, alors que les valeurs limites européennes sont moins sévères que celles recommandées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Une solution innovante pour inciter l'exécutif
Il revient maintenant au Conseil d'État de trancher à travers une troisième décision. S'il juge que le Gouvernement n'a pas satisfait à sa demande, il liquidera l'astreinte. C'est-à-dire que ce dernier va devoir régler 10 millions d'euros par semestre de retard, l'équivalent de plus de 54 000 euros par jour. Soit le montant « le plus élevé jamais retenu par une juridiction administrative française à l'encontre de l'État », avait indiqué le Palais Royal en juillet. La décision est attendue d'ici quelques semaines ou… quelques mois.
Outre la liquidation de l'astreinte, l'un des enjeux est aussi l'affectation des sommes récupérées. Faisant évoluer la jurisprudence, la Haute juridiction administrative a jugé pour la première fois que ces sommes pourraient être versées non seulement aux associations requérantes mais aussi à des personnes publiques autonomes à l'égard de l'État ou à des associations menant des actions d'intérêt général en lien avec la qualité de l'air.
« C'est l'État qui est débiteur et si ça revenait dans son budget, il ne serait jamais incité à respecter la décision », explique en effet Louis Cofflard. Le Conseil d'État a donc fait appel à une solution « innovante et originale » qui permet de punir le Gouvernement tout en affectant les sommes à des personnes en charge du service public. Ces dernières pourraient être les associations agrées de surveillance de la qualité de l'air (Aasqa) ou l'Agence de la transition écologique (Ademe).
« L'État pris en étau »
Mais l'objectif pour les requérantes reste de pousser le Gouvernement à agir alors qu'il subit dans le même temps la pression de l'Union européenne. En octobre dernier, la Commission renvoyait la France devant la Cour de justice (CJUE) pour non-respect des valeurs limites sur les PM10. Le 3 décembre dernier, elle la mettait en demeure de respecter sa condamnation par la CJUE concernant la pollution au NO2.
« L'État est pris en étau entre ces décisions. On aimerait bien ne pas attendre que la procédure de pénalité financière de la CJUE retombe sur la France. On préfèrerait que le Conseil d'État arrive à se faire respecter avant par le ministère de la Transition écologique », explique Louis Cofflard.
La réponse est entre les mains des conseillers d'État.