La pollution géogénique (c'est-à-dire d'origine naturelle) des sols, des sédiments et des eaux constitue aujourd'hui un enjeu majeur. Au Mexique, en Argentine, aux Etats-Unis, une partie de la population boirait elle aussi de l'eau naturellement contaminée à l'arsenic. En Europe de l'Est, dans la région montagneuse des Balkans, entre la frontière roumaine et hongroise, plusieurs centaines de milliers de personnes seraient concernées également. Les roches des chaînes montagneuses sont en effet riches en polluants naturels.
Des milieux naturellement pollués
On parle souvent de pollution d'origine anthropique. Beaucoup moins de pollution géogénique. Pourtant, certains sols ou sédiments, localisés dans des contextes géographiques particuliers, affichent des concentrations naturelles élevées en arsenic, antimoine, fluor, nickel ou sélénium, bien supérieures aux normes sanitaires définies au niveau mondial ou européen. Ces concentrations se diffusent progressivement et peuvent affecter l'eau qui transite dans ces sous-sols. De nombreux aquifères sont ainsi naturellement impropres à la production d'eau potable. Aujourd'hui, les moyens de détection sont de plus en plus fiables et les réglementations permettent d'accroître la connaissance du problème. Si la situation au Bangladesh a connu une tournure aussi dramatique, c'est que l'on a tardé à tester l'eau fraîche et à établir un lien entre certaines maladies récurrentes dans la population et l'empoisonnement chronique à l'arsenic. Pendant des années et encore aujourd'hui, la population a utilisé cette eau pour la boisson, l'alimentation ou encore l'irrigation des cultures. L'arsenic est pourtant cancérogène. Il est toxique pour le foie, la peau, les reins et le système cardiovasculaire.
UE : le projet AquaTrain amplifie les recherches et dessine des solutions
En Europe, le renforcement des normes sur l'eau potable en 1998 (directive 98/83/CE) et la directive cadre sur l'eau (DCE) en 2006 ont conduit à développer des moyens scientifiques d'évaluation de l'eau et à accroître les connaissances des sous-sols (origine de chaque élément, distinction apports anthropiques/apports géogéniques…).
Le projet européen AquaTRAIN (éléments géogéniques dans les eaux souterraines et les sols : un réseau de recherche et de formation), lancé en 2007, vise ainsi à développer les connaissances scientifiques concernant ces éléments polluants naturels. L'objectif : élaborer des méthodes d'analyse et de modélisation du comportement des éléments polluants afin d'identifier les zones à risques, caractériser les systèmes eaux souterraines/sols/sédiments pour évaluer les risques environnementaux et sanitaires associés, développer les techniques et approches de dépollution et mieux appréhender les impacts sanitaires afin de pouvoir prescrire des recommandations aux décideurs.
''Ces pollutions sont rémanentes, explique Romain Millot, responsable du projet AquaTrain. Elles ne sont pas ponctuelles. On arrive donc à les caractériser aujourd'hui''.
Les scientifiques ont également développé des solutions pour traiter les eaux contaminées. Car si des techniques existent d'ores et déjà, celles-ci sont très coûteuses. Comme le piégeage de l'arsenic grâce aux oxydes de fer, qui modifie ses caractéristiques physico-chimiques. Un remède efficace et pourtant pas employé au Bangladesh, par manque de moyens (ou de volonté politique tant à l'échelle locale qu'internationale).
AquaTrain a donc planché sur un pilote qui permet de réduire les niveaux de pollution, grâce à une triple filtration de l'eau. ''Les analyses des tests de potabilité sont en cours. Les premiers résultats sont très prometteurs''.
Ce projet européen avait également pour objectif de former à une approche pluridisciplinaire 12 étudiants en thèse. ''Le pari était de créer un réseau scientifique de très haut niveau pour répondre à cet enjeu d'avenir'', explique Romain Millot.