L'Assemblée nationale a adopté, mercredi 1er février, avec l'avis favorable du Gouvernement, la proposition de résolution (1) des députés Alain Gest (UMP - Somme) et Philippe Tourtelier (SRC – Ile-et-Vilaine) sur la mise en œuvre du principe de précaution.
Une évaluation de cette mise en œuvre avait été préalablement réalisée par le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) de l'Assemblée, après la tenue d'un séminaire parlementaire le 1er juin 2010 et d'un débat en séance publique le 26 juin 2010.
Pas de mise en œuvre raisonnée, réfléchie et organisée
"Il existe aujourd'hui un consensus pour constater la nécessité de mieux définir les modalités de mise en œuvre du principe de précaution, de façon à éviter de laisser cette responsabilité à la seule jurisprudence", indiquent les députés dans l'exposé des motifs de leur proposition de résolution.
Qu'est-ce qui cloche donc dans la mise en œuvre de ce principe à valeur constitutionnelle inscrit à l'article 5 de la Charte de l'environnement (2) ? "Outre que le principe de précaution est invoqué le plus souvent de façon inappropriée, il n'est pas mis en œuvre de façon raisonnée, réfléchie et organisée", déclare Alain Gest.
Des travaux qu'ils ont menés depuis deux ans sur la question, Philippe Tourtelier indique avoir établi quatre constats. Le premier, c'est qu'aucun de leurs interlocuteurs n'a proposé de faire marche arrière et de retirer le principe de la Constitution. Le deuxième, c'est "l'extrême confusion" sur le sens même du principe de précaution, "très souvent confondu avec le principe de prévention par les médias, l'opinion publique et même les politiques au plus haut niveau". Troisième constat : le principe de précaution est d'abord invoqué dans le domaine de la santé, beaucoup plus que dans celui de l'environnement, alors que le législateur n'avait pas retenu la santé comme domaine d'application de la Charte constitutionnelle. Dernier constat : des jurisprudences divergentes qui font ressortir des "insuffisances dans l'énoncé de la loi".
Une procédure par étapes
"C'est la raison pour laquelle nous avons considéré, pour à la fois en faciliter l'utilisation et davantage éclairer les juges, qu'il convenait d'imaginer une procédure en plusieurs étapes, encadrant son usage tant dans le domaine environnemental que sanitaire", précise Alain Gest, qui préconise de renforcer la valeur des expertises permettant d'identifier "le caractère plausible ou non des risques incertains, de mieux apprécier la notion de bénéfices-risques, (…), de mieux organiser de débat public et de laisser à un opérateur unique le soin de contribuer à la prise de décision, du seul ressort des autorités publiques".
La procédure s'appuierait sur le Comité de la prévention et de la précaution, qui, sous réserve d'une évolution de ses missions et de sa composition, pourrait être chargé de l'identification des risques plausibles et de la désignation des référents.
"Ce référent susciterait une double expertise, scientifique et sociétale, contradictoire et indépendante", précise Alain Gest. "Son rapport devrait faire état des coûts et bénéfices de l'action ou de l'absence d'action. À l'issue de l'expertise, le réfèrent soumettrait aux autorités compétentes les éléments nécessaires à l'organisation d'un débat public, dont il serait également chargé de rendre publics les résultats." C'est à l'issue de ce processus que les pouvoirs publics seraient appelés à décider des mesures à prendre.
La procédure proposée par les parlementaires comporterait donc quatre phases : identification, études, débat public et décision de l'autorité compétente. "Ces quatre phases ont pour objectif de démontrer que le principe de précaution a toujours été entendu non comme un principe d'inaction systématique mais comme l'encadrement de mesures provisoires et proportionnées au regard des dommages envisagés", résume Alain Gest.
Le Gouvernement exprime deux nuances
Le Gouvernement a émis un avis favorable sur le texte, malgré deux nuances sur des points d'organisation exprimées par Nathalie Kosciusko-Morizet à l'occasion des débats. S'agissant du rôle proposé au référent par les députés, "je partage avec vous l'idée qu'il est nécessaire d'avoir un point focal unique pour coordonner les différentes expertises à mettre en œuvre, a déclaré la ministre de l'Ecologie, mais je suis plus réservée quant à l'idée de confier à ce référent l'organisation des autres phases, celle par exemple du dialogue avec le public". Et de préciser : "Je pense en effet qu'il faut clairement distinguer dans le processus ce qui relève strictement de l'expertise et nécessite un pilote technique, et ce qui est du domaine du débat et de la décision, qui devrait rester dans le champ de responsabilité des autorités publiques".
Le deuxième point concerne l'initialisation de la démarche, qui relèverait du Gouvernement, du Parlement ou du Conseil économique, social et environnemental selon les députés. "Ne faut-il pas prendre d'abord le temps d'apprendre et d'évaluer ce processus de mise en œuvre du principe de précaution ? Ne faut-il pas, a minima, mettre en place des garde-fous – règles de majorité, vœux adressés au Gouvernement chargé de la saisine – pour éviter que le nombre de saisines ne discrédite le processus ?", s'interroge la ministre.
Une remise en cause du principe de précaution ?
Tant les parlementaires que le Gouvernement ont repoussé toute accusation de remise en cause du principe de précaution. Et en premier lieu Nathalie Kosciuscko-Morizet qui en a fait le panégyrique : "Le principe de précaution n'est pas la négation du progrès, il n'est pas la négation de la science. Il est même tout le contraire (…) En fait, le principe de précaution est aujourd'hui l'une des conditions de possibilité et de crédibilité de la science moderne. Il constitue à mon sens un exemple d'une vision nouvelle de l'écologie".
Pourtant, cette initiative parlementaire, assez consensuelle au sein de l'hémicycle, a pu être perçu par certains commentateurs comme une tentative de remise en cause du principe.
Ainsi, pour Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l'environnement, qui commentait en novembre dernier le projet de résolution, "définir les conditions d'application du principe de précaution revient nécessairement à en ruiner jusqu'à l'existence même". L'avocat dénonçait un considérable retour en arrière du rapport politique/expert : "l'expert est remis au centre du dispositif d'évaluation et de gestion démocratique du risque radical". Au-delà, la proposition revient, selon le juriste, "à ensevelir le principe de précaution sous une montagne de conditions préalables".