« Ces propositions constituent une avancée décisive sur la manière dont nous recueillerons des données sur les substances chimiques et évaluerons leur sécurité », assure Virginijus Sinkevičius, commissaire à l'Environnement. Ces propositions, ce sont les trois textes (deux (1) règlements (2) et une directive (3) ) que l'exécutif européen a présentés, jeudi 7 décembre, en vue de réformer le cadre juridique de l'évaluation des produits chimiques.
Ces textes s'inscrivent dans le cadre de la stratégie sur les produits chimiques que la Commission avait présentée le 14 octobre 2020 et qui prévoyait un processus plus simple d'évaluation, fondé sur le principe « une substance, une évaluation » (Osoa). Avec ce paquet législatif, Bruxelles affiche trois objectifs : rationnaliser les évaluations des substances chimiques dans l'ensemble de l'UE ; renforcer la base de connaissances sur les produits chimiques ; assurer un détection précoce des risques chimiques émergents. Mais la présentation tardive de ces textes laisse des doutes sur la possibilité de les adopter avant la fin de la mandature de la Commission, et ce, alors que des textes importants comme la révision du règlement Reach ont déjà été mis de côté.
Nouvelle répartition des tâches entre agences
La réforme prévoit, en premier lieu, une nouvelle répartition des tâches entre les quatre agences de l'UE : l'Agence européenne des produits chimiques (Echa), l'Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) et l'Agence européenne des médicaments (Ema). « Les agences seront mieux équipées pour aligner la fixation des priorités, les calendriers, les processus et les méthodes utilisés pour l'évaluation des substances chimiques », annonce la Commission. Les nouveaux textes visent aussi à assurer une évaluation cohérente d'une même substance dans les différentes législations qui peuvent la viser : dispositifs médicaux, jouets, denrées alimentaires, pesticides, biocides.
Une proposition prévoit aussi d'habiliter l'Echa à produire des données « si nécessaire ». Insuffisant aux yeux de l'association Chem Trust, qui réclame la prise en compte de l'élargissement des fonctions de cette agence, créée à l'origine dans le seul cadre du règlement Reach, et la nécessité de renforcer ses comités d'experts. « La Commission a promis de proposer un règlement fondateur pour améliorer la gouvernance et le financement de l'Echa, mais elle continue de retarder sa publication – il doit être publié le plus tôt possible en 2024 », réclame Stefan Scheuer, conseiller en chef sur la politique de l'UE au sein de l'ONG.
« La plupart des informations sont détenues par l'industrie, qui n'a, bien sûr, pas toujours intérêt à les partager. Dans un tel système, on fait face à des blocages répétés. C'est pourquoi, depuis l'avènement de Reach, les restrictions ont été si peu ambitieuses et, très souvent, contraires au principe de précaution », témoignait également Hélène Duguy, de l'ONG ClientEarth, en mai dernier, après un premier bilan de la feuille de route de la Commission sur les restrictions Reach.
Point d'accès central aux données
L'exécutif européen prévoit également de mettre en place une plateforme de données communes sur les substances chimiques qui fusionnera les plateformes existantes : plateforme d'information sur la surveillance des substances chimiques (Ipchem (4) ), outil de coordination des activités publiques (Pact (5) ), outil de recherche de la législation de l'UE sur les substances chimiques (Euclef (6) ), etc. « Elle élargira leur champ d'application à la quasi-totalité de la législation de l'UE sur les produits chimiques et les complétera par de nouveaux outils et bases de données », prévoient les services de la Commission.
La nouvelle plateforme devrait fournir différentes données sur les substances : dangers, propriétés physico-chimiques, présence dans l'environnement, émissions, utilisations, persistance dans l'environnement, processus réglementaires en cours. « Un point d'accès central à toutes les données relatives à la sécurité chimique collectées par 70 politiques de l'UE est un élément important pour réglementer les produits chimiques plus efficacement et accroître la transparence », salue Stefan Scheuer de Chem Trust.
Améliorer la biosurveillance
Bruxelles annonce également des mesures destinées à améliorer la surveillance. Il s'agit, tout d'abord, d'un système d'alerte précoce permettant de détecter les risques chimiques « suffisamment tôt pour éviter que la pollution ne se généralise ».
La Commission entend ensuite mettre en place un système de collecte des données de biosurveillance, citant le sang ou le lait maternel, afin d'assurer la bonne information des décideurs politiques. Le BEE salue cette intention. « En mettant en lumière les niveaux de produits chimiques dans notre corps et en permettant une détection précoce des risques potentiels, ces initiatives apparaissent comme les garants de notre bien-être et de notre planète, et contribueront à éviter de nouveaux scandales de pollution chimique, tels que les PFAS », explique Tatiana Santos, responsable de la politique des produits chimiques au Bureau européen de l'environnement (BEE).
« Grâce à cette réforme globale du cadre juridique de l'UE sur les produits chimiques, l'action réglementaire deviendra plus simple, plus rapide et plus transparente », assure Virginijus Sinkevičius. Contacté, le Conseil européen de l'industrie chimique (Cefic) n'a pas souhaité réagir à ce stade. Si les ONG, de leur côté, saluent l'initiative, elles pointent aussi les retards. « Les étapes en attente, telles que la révision de Reach, l'interdiction de l'application de produits chimiques hautement nocifs tels que les retardateurs de flammes, les produits toxiques présents dans les articles de puériculture et le plastique PVC, et la mise en œuvre du plan d'action d'élimination progressive des PFAS, exigent une action rapide », rappelle Tatiana Santos.
« Nous attendons toujours la proposition de la Commission visant à réviser et à mettre à jour la principale loi européenne sur les produits chimiques, Reach », appuie Chem Trust. Dans un courrier adressé au directeur exécutif de l'ONG, les directeurs généraux de l'Environnement et du Marché intérieur viennnent de confirmer l'importance de la révision du règlement Reach. « Une telle initiative ne devrait pas être présentée à la fin d'un mandat de la Commission », ajoutent-ils toutefois, arguant du temps de préparation et de concertation qu'elle nécessite. Reste à voir si les trois textes présentés aujourd'hui subiront un meilleur sort que la révision de Reach.