« Trop de projets présupposent qu'une dérogation à la protection des espèces protégées et de leurs habitats leur sera accordée, moyennant des mesures de compensation. » Tel est le constat de l'Autorité environnementale (Ae) dans son rapport annuel pour 2022 (1) , dévoilé le 28 juin 2023. L'autorité indépendante déplore que la dérogation à l'interdiction d'atteinte aux espèces protégées, parfois nécessaires à la mise en œuvre des projets, soit considérée comme étant « de droit » par les maîtres d'ouvrage.
Des dérogations Espèces protégées présumées acquises ?
Dans son rapport, l'Ae fait le constat positif que davantage de dossiers de projets présentaient des méthodologies solides, et qu'ils étaient de plus en plus encourageants. Toutefois, elle relève des faiblesses persistantes, dont des demandes de dérogation Espèces protégées « présentées de telle sorte qu'on a le sentiment que le pétitionnaire croit qu'elle est de droit », regrette Sylvie Banoun, administratrice générale de la MRAe (2) Île-de-France. L'Ae a souhaité rappeler qu'il s'agit d'abord d'une interdiction d'atteinte à ces espèces et à leurs habitats.
Le problème soulevé est que les pétitionnaires ont tendance à s'appuyer sur les mesures de compensation, en mettant de côté les mesures d'évitement et de réduction dans leur demande de dérogation. L'Ae rappelle que la compensation vient en principe en complément des autres mesures, qui doivent être privilégiées. Ainsi, dans son avis de mai 2021 (3) concernant le réaménagement du domaine skiable de Saint-Lary-Soulan, dans les Hautes-Pyrénées, elle a recommandé de « revoir le niveau d'incidences résiduelles du projet sur les habitats naturels, la flore et la faune, le cas échéant de réajuster les mesures d'évitement, de réduction et, si nécessaire, de compensation associées et d'établir un dossier de demande de dérogation relatif aux impacts résiduels sur les espèces protégées ».
La justification insuffisante des maîtres d'ouvrage sur la raison impérative d'intérêt public majeur ?
L'Ae rappelle l'avis contentieux du 9 décembre 2022, dans lequel le Conseil d'État avait précisé les conditions de délivrance d'une dérogation « espèces protégées » : l'absence de solution alternative satisfaisante ; le fait de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.
Pour prouver que la dernière condition est remplie, l'Ae constate que « les dossiers se contentent parfois de reprendre l'argumentaire de l'utilité publique, ce qui ne saurait être suffisant ».
Ces observations rejoignent un constat plus général de l'autorité d'une prise en compte encore trop faible des impacts des projets, plans et programmes sur l'environnement : « L'évaluation environnementale est encore trop perçue comme une "procédure" entraînant des délais inutiles et retardant une autorisation considérée comme étant de droit. »