Finalement, le futur règlement européen sur la pêche profonde encadrera le chalutage profond, mais ne l'interdira pas. Réuni en séance plénière le 10 décembre, le Parlement européen a décidé de suivre le vote de la commission des pêches du 4 novembre en faveur d'une interdiction de cette pratique dans les zones aux écosystèmes marins fragiles. L'amendement demandant une élimination totale du chalutage de fond après deux ans a été rejeté par 342 voix contre 326 et 19 abstentions, au grand regret des associations qui demandaient un abandon total de ces pratiques.
Le projet de règlement, proposé par la Commission européenne en juillet 2012, doit abroger le règlement actuel (1) (n° 2347/2002) qui encadrait jusque-là les pratiques de pêche profonde. Jugé insuffisant, celui-ci n'a pu empêcher "l'épuisement de certains stocks de poissons d'eau profonde en seulement quelques années", estime un rapport parlementaire (2) présenté en novembre 2013.
Le texte doit désormais passer entre les mains des Etats membres. En octobre dernier, faute d'accord, le Conseil des ministres avait décidé de repousser le vote.
Une interdiction dans quatre ans, après révision ?
Ce nouveau règlement doit permettre de réduire la grande vulnérabilité et le manque de données sur les stocks de poissons d'eau profonde. Malgré le peu de connaissances sur les espèces concernées, "le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM) indique que la majorité des stocks de poissons d'eau profonde sont considérés comme soumis à une pêche excédant les limites biologiques de sécurité", rappelle le rapport parlementaire.
Mais plutôt que d'interdire totalement cette pêche, les eurodéputés ont décidé de limiter cette interdiction aux zones les plus vulnérables. La Commission devra établir une liste de ces zones, sur proposition des Etats membres, qui seront "fermées à tous les navires européens si elles sont en haute mer et à tous les navires en général si elles sont situées dans les eaux européennes", indique le communiqué de presse du Parlement.
Une clause de révision a cependant été introduite : après quatre ans de mise en œuvre de ce règlement, la Commission devra évaluer l'impact des engins spéciaux utilisés pour la pêche en eau profonde sur les espèces et les écosystèmes marins vulnérables d'eau profonde. "Si cette évaluation montre que ces écosystèmes ou les stocks en eau profonde ne sont pas suffisamment protégés, la Commission pourrait alors proposer une interdiction générale de l'engin concerné". Initialement, le rapport parlementaire présenté par Kriton Arsenis (groupe socialiste, Grèce) demandait une élimination progressive, en deux ans, des engins les plus nocifs.La pêche profonde en bref
La pêche profonde s'est développée à la fin des années 80 lorsque les stocks de poissons du plateau continental ont commencé à décliner. Elle vise les espèces qui vivent à des profondeurs supérieures à 400 mètres et qui sont particulièrement vulnérables, du fait de leur lent développement, de leur maturité tardive (jusqu'à trente ans) et de leur faible indice de fécondité.
Les chaluts de fond trainent des plaques d'acier, des câbles et des filets lourds sur les fonds marins. Selon le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), si tous les engins entrant en contact avec les fonds marins peuvent avoir un impact sur les écosystèmes d'eau profonde, l'impact des chaluts de fond est bien plus nuisible aux fonds marins que celui des engins statiques.
Sont particulièrement pointés du doigt les chaluts de fond et les filets maillants de fond, considérés comme particulièrement impactant pour les écosystèmes. Ils ont en effet une incidence sur certaines espèces comme les coraux et les éponges. Autre impact indirect : les volumes élevés de prises accessoires, qui représenteraient en moyenne 20 à 30% du poids des prises.
Vers un abandon volontaire de la pêche profonde ?
Faute d'interdire, les députés ont décidé néanmoins d'inciter à l'abandon des pires pratiques, en adoptant une proposition du rapport parlementaire : aider financièrement les professionnels à changer de bateaux et à se former à des pratiques plus respectueuses de l'environnement, grâce au fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). "L'abandon progressif des chaluts de fond et des filets maillants de fond au profit de palangres pour la pêche de stocks de poissons d'eau profonde constitue une évolution vers une pêche plus durable, à la fois sur le plan économique (la pêche à la palangre en eau profonde semble plus rentable et permet de réduire les coûts opérationnels, les chaluts de fond consommant en effet six fois plus de carburant), social (les palangres, qui nécessitent davantage de main-d'œuvre, offrent dès lors de nouvelles possibilités d'emploi) et environnemental (la pêche à la palangre a une incidence manifestement plus faible sur l'environnement marin)", soulignait le rapport. La pêche à la palangre est pratiquée par les Portugais, tandis qu'Espagnols et Français pratiquent généralement le chalutage profond.
Casino et Carrefour s'engagent
Cette aide poussera-t-elle à un changement des pratiques ? D'ores et déjà, selon l'association Bloom, particulièrement engagée dans la lutte contre la pêche profonde, le distributeur Casino s'est engagé à retirer de ses étals, à partir du 1er janvier 2014, les principales espèces profondes (sabre noir, grenadier et brosme). L'enseigne a rappelé que depuis 2007, elle ne commercialisait plus la lingue bleue et l'empereur.
Dans la foulée, le groupe Carrefour a annoncé qu'il allait progressivement arrêter la commercialisation du sabre, du grenadier et du brosme d'ici juin 2014 et précisé qu'"entre 2007 et 2013, [il] a arrêté la vente de lingue bleue et d'empereur et divisé par quatre les volumes de vente de sabre, de grenadier et de brosme".
Dans un communiqué du 10 décembre, le député de la Meuse Bertrand Pancher (UDI) "exhorte le groupe Intermarché à suivre le mouvement en renonçant, à son tour, à cette pêche destructrice, coûteuse et très peu génératrice d'emploi".
Scapêche, la filiale d'Intermarché qui compte 18 navires et 220 marins, estime qu'un arrêt de la pêche profonde concernerait 3.000 emplois directs et indirects. Quelques 400 navires français seraient concernés, selon elle. Mais peu auraient une taille industrielle. Dans une lettre ouverte datée du 6 décembre, les pêcheurs de Scapêche indiquaient pêcher "sur des fonds sableux et vaseux exempts de coraux, dans une seule et même zone qui ne dépasse pas 3% de la surface des eaux européennes". Ils revendiquaient même la pêche de poissons sauvages que sont le sabre, le grenadier et la lingue bleue à "un prix qu'une majorité de ménages peut s'offrir".
Selon le rapport parlementaire, au total, les espèces d'eau profonde représentent environ 1% des débarquements de l'Atlantique du Nord-Est.