« Notre mission a montré que les mesures proposées pour lutter contre la sécheresse n'étaient pas suffisamment claires et leur efficacité n'est pas prouvée », a souligné Virginie Dumoulin, membre du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), à l'occasion d'une webconférence sur la gestion de la ressource en eau en période estivale. Organisée par le Cercle français de l'eau, cette manifestation a donné l'occasion aux membres de deux missions de faire un point sur leurs propositions pour améliorer cette gestion de crise : les députés Loïc Prud'homme et Frédérique Tuffnell, en charge de la mission d'information sur la gestion des conflits d'usage en situation de pénurie d'eau, ainsi que deux membres du CGEDD, Virginie Dumoulin et Louis Hubert, qui ont publié un retour d'expérience (1) sur la gestion de la sécheresse 2019.
Certaines de leurs propositions ont retenues l'attention du ministère de la Transition écologique : ce dernier les a traduites dans une instruction adressée aux préfets le 23 juin 2020.
Appliquer avec plus de rigueur le système en place
Parmi les constats des deux missions : la gestion des épisodes de stress hydrique par les services de l'État pêche dans sa mise en œuvre à l'échelle de sous-bassins versants. Elles soulignent également le manque de coordination entre les départements, notamment lors de la mise en place de mesures de restriction de l'usage de l'eau. « Notre rapport appelle les pouvoirs publics à appliquer avec plus de rigueur le système en place », souligne Louis Hubert.
La gestion de la sécheresse passe en effet principalement par le préfet de département qui peut prendre des arrêtés pour restreindre les usages de l'eau (2) . Ces derniers peuvent également définir des zones d'alerte. Dans ces zones, les acteurs qui prélèvent, stockent ou déversent doivent indiquer au préfet leurs besoins réels et prioritaires dans la limite des volumes autorisés durant la période de restriction.
De leur côté, les préfets de région doivent jouer un rôle d'animation et de coordination des actions : ils les concrétisent à l'échelle du bassin versant grâce à des arrêtés-cadre de bassin (opposable). Ce rouage semble toutefois avoir du mal à se concrétiser. La mission du CGEDD n'a en effet recensé que trois documents de ce type pour les six bassins versants (3) .
Dans son instruction du 23 juin, le ministère affirme la nécessité d'appliquer plus fortement ce cadre : il rappelle les dispositions à mettre en œuvre, dont la couverture du territoire par des arrêtés-cadre. Le préfet coordonnateur de bassin devra identifier les zones d'alerte nécessitant un arrêté-cadre interdépartemental. Dans celles-ci, un préfet sera en charge de piloter l'élaboration de cet arrêté.
L'instruction précise que les arrêtés-cadre devront détailler les conditions de déclenchement des quatre niveaux de gravité réglementaire : vigilance (4) , alerte (5) , alerte renforcée (6) , crise (7) . Ces derniers ont été légèrement révisés. Les conditions de leur déclenchement devront s'appuyer sur des seuils en débit ou cote piézométrique, mais également être étayées par des conditions météorologiques, des observations des écoulements anormalement bas des petits cours d'eau ou du contexte d'augmentation prévisible des consommations en eau. Enfin, l'arrêté-cadre pourra définir les modalités de remontée d'information régulière des volumes d'eau prélevés.
Autre précision : les mesures prises devront être présentées selon une approche par usage, niveau de gravité et type de ressource, et permettre ainsi, à terme, d'être diffusées dans l'application Propluvia. Une modernisation du site est ainsi prévue en 2021.
Pour harmoniser les mesures au niveau national, le ministère prévoit également de revisiter les orientations et de publier un guide technique au second semestre.
Une évolution des comités sécheresse
À noter : le ministère reprend l'idée des missions d'une évolution du comité sécheresse en structure « plus pérenne », désormais appelé le comité ressources en eau.
« L'état d'esprit dans lequel sont réunis les comités et la recherche d'un véritable dialogue fondé sur des constats partagés sont déterminants pour ne pas faire de ces comités de simples chambres d'enregistrement des désaccords ou de répartition de la pénurie entre les seuls agriculteurs », avaient noté, dans leur rapport, les membres du CGEDD à propos des comités sécheresse.
L'idée de ce comité revisité ? Permettre, dès le printemps, d'évaluer l'état des ressources et du remplissage des réservoirs, d'apprécier le risque de sécheresse et de confirmer la mise à jour de l'arrêté-cadre. En fin de période d'étiage, il permettra d'établir un bilan du dispositif et des contrôles effectués.
Des mesures de restriction plus contrôlables
Autre point important : les mesures de limitation devront être contrôlables. Le préfet devra s'appuyer sur l'Office français de la biodiversité (OFB) pour s'en assurer.
« Il faut que les services de l'État définissent des mesures applicables en lien avec les services de police, a pointé Virginie Dumoulin. S'ils ne sont pas en mesure de contrôler, les dispositions ne se font pas ».
L'instruction du 23 juin indique également que la nouvelle stratégie nationale de contrôles en matière de police de l'eau, de la nature et de l'environnement marin, compte précisément, parmi ses priorités, le contrôle des mesures de limitation des usages de l'eau.
Après chaque épisode de crise, un bilan des contrôles et un suivi des sanctions seront attendus. De la même manière, les possibilités de dérogations devront être limitées.
Les deux dernières missions sur la gestion de la sécheresse ont constaté qu'il fallait souvent que les seuils soient franchis plusieurs fois avant de déclencher les mesures de restriction. Pour les accélérer, l'instruction reprend les propositions d'utiliser l'expertise de terrain disponible pour anticiper la prise de décision. Ainsi, les observations de l'Observatoire national des étiages (Onde), comme les données des acteurs du territoire (par exemple la navigation, la pêche ou encore les associations), feront partie de l'analyse multifactorielle. Pour les arrêtés, une simple information ou une consultation dématérialisée devra être privilégiée.
Prévenir les défaillances pour l'approvisionnement en eau potable
L'instruction met également l'accent sur l'approvisionnement en eau potable et la prévention des défaillances. En 2019, 74 communes et plus d'un million d'habitants étaient ainsi concernés. Elle rappelle que les préfets de département devront élaborer ou actualiser les schémas départementaux d'alimentation en eau potable et les mettre en œuvre. Autre rappel : la mise en place ou l'actualisation du volet eau potable Orsec avant le 31 décembre 2020.
Un point devra être réalisé pour identifier les ressources stratégiques dans un contexte de changement climatique mais, également, pour soutenir les collectivités pour la sécurisation de l'approvisionnement.
Dans les zones régulièrement en crise (plus d'un mois de sécheresse depuis 2012) ou à enjeu, les préfets coordonnateurs de bassin devront réaliser une synthèse des actions structurelles qu'ils ont engagées pour résorber les déséquilibres.
Des déclinaisons des rapports des deux missions sont encore attendues sous forme d'évolutions réglementaires à l'automne.
« La sécheresse n'est pas seulement l'épuisement d'une ressource, c'est aussi la dégradation d'un milieu naturel, a pointé Louis Hubert. Souvent une augmentation des prélèvements est liée à l'augmentation de la population ou des usages, du fait d'une activité économique, mais également à la modification d'un territoire : une réduction des zones humides, une imperméabilisation. L'aménagement du territoire et la surconsommation sont les causes… et sont souvent aggravés par le changement climatique ».
Reste à voir les mesures qui seront prises.