À l'heure actuelle, le désamiantage a été effectué et le démantèlement doit être réalisé sur un chantier à Alang au nord de la côte ouest de l'Inde. Mais depuis l'annonce du départ du Clemenceau pour ce pays, un collectif d'associations réunissant Ban Asbestos, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH) et Greenpeace tente d'alerter les gouvernements concernés et l'opinion publique. Selon eux, il reste plus d'amiante dans le navire que ce que prétend le gouvernement français et accusent l'armée de confier l'opération délicate de désamiantage à des chantiers qui ne présentent pas les garanties nécessaires concernant la santé et la sécurité des travailleurs et la protection de l'environnement. Dans un rapport de la FIDH consacré aux « bateaux poubelles », Ramapati Kumar, membre de Greenpeace Inde témoigne : Ces chantiers sont extrêmement dangereux. Des dizaines de milliers de personnes travaillent sans protection ou équipement de sécurité : il n'y a ni gants, ni casques, ni même de signalisation pour prévenir des dangers potentiels. Dans ces conditions les accidents sont fréquents, et les morts aussi.
Mais le gouvernement s'est voulu rassurant et accuse les associations de vouloir donner l'impression que l'Inde est un État de non-droit. Il ne faut pas croire que cette opération de désamiantage va être faite n'importe comment, a précisé Me Alquezar, défenseur des autorités françaises. Selon le ministère de la Défense, il est impossible de désamianter totalement le bateau en France, car cela porterait atteinte à la flottaison du bateau, ce qui empêcherait dès lors tout remorquage possible vers l'Inde. Tout l'amiante visible, friable et accessible, aurait été retiré pour ne laisser que le minimum nécessaire à la navigabilité précise-t-on à ce même ministère.
Cependant le témoignage de la société Technopure qui a fait l'essentiel de la décontamination du bâtiment à Toulon semble contredire la version officielle. Cette société affirme que plusieurs centaines de tonnes d'amiante se trouveraient encore à bord contre seulement quelques dizaines selon l'armée. L'estimation faite par mes ingénieurs est qu'il y a beaucoup plus d'amiante à bord que quiconque peut l'imaginer, a déclaré au journal indien The Hindu le PDG de Technopure, Jean-Claude Giannino. Selon lui Technopure aurait enlevé 30% seulement de ce qu'il contenait et aurait pu en retirer beaucoup plus, sans risquer de compromettre la navigabilité.
Elle regrette également de n'avoir pas pu, comme il était convenu, former au désamiantage les cadres indiens chargés d'éliminer l'amiante restant dans le navire.
Mais derrière cette querelle de chiffres, se cache un conflit plus fondamental d'interprétation de la Convention de Bâle qui réglemente les exportations de déchets dangereux. Ce texte déclare notamment qu'il est interdit d'exporter ou d'importer des déchets dangereux et d'autres déchets vers, ou en provenance d'un État non signataire de la convention et qu'aucun déchet ne peut être exporté si l'État d'importation n'a pas donné son accord. Elle impose également que les renseignements sur les déplacements soient communiqués aux États concernés afin qu'ils puissent évaluer les conséquences pour la santé humaine et l'environnement et que les mouvements transfrontières ne sont autorisés que si le transport et l'élimination de ces déchets sont sans danger.
Le débat semble s'orienter sur le statut du Clemenceau : Est-il ou non concerné par la convention de Bâle ? Selon le ministère de la défense, le Clemenceau, en tant que bâtiment de guerre, n'est pas un déchet, argumente M. Bureau. Alors que Mme Thébaud-Mony, porte-parole de Ban Asbestos, estime que dès lors qu'un navire doit être démantelé, il passe dans la catégorie des déchets et ses structures, s'il s'agit de déchets dangereux, sont visées par la Convention.
Malgré plusieurs tentatives de la part du collectif pour empêcher le navire de partir pour l'Inde, le Clemenceau a quitté le port de Toulon fin décembre. Michel Parigot, président du comité anti-amiante Jussieu et vice-président de l'Andeva (Association nationale de défense des victimes de l'amiante) a estimé que ce départ se faisait au mépris de la réglementation française. Nous ne souhaitons pas que la France se débarrasse de ses produits toxiques dans un pays qui n'a pas les moyens de les traiter. L'État français doit respecter la réglementation qu'il a édictée. Il en va de sa crédibilité car c'est déjà assez difficile de la faire respecter, en France, par les propriétaires privés et les entreprises concernés par le problème de l'amiante, a-il ajouté.
Cependant ce voyage n'est pas de tout repos. La Commission de contrôle des déchets dangereux de la Cour suprême indienne a tout d'abord rendu un avis défavorable sur l'opération de désamiantage estimant que ce n'était pas souhaitable et que cela violerait la Convention de Bâle sur les déchets dangereux. Quelques jours plus tard c'était au tour de l'Autorité pour la Protection de l'Environnement (EPA) égyptienne d'interdire au porte-avions l'entrée dans les eaux territoriales nationales, et le passage du Canal de Suez, pour non respect de la Convention de Bâle. Après étude du dossier, le ministère égyptien de l'Environnement a repris l'argumentation française affirmant que le Clemenceau, bien que désarmé depuis 1997, restait un bâtiment de guerre et ne relevait pas de cette réglementation. Alors que le navire reprenait sa route, la Cour suprême indienne lui a interdit lundi de pénétrer dans les eaux territoriales de l'Inde jusqu'au 13 février, date à laquelle elle prendra une décision autorisant ou pas son démantèlement. La Commission de contrôle des déchets dangereux de la Cour suprême, qui avait donné un premier avis défavorable le 6 janvier, a indiqué avoir besoin de temps pour faire une recommandation finale.
Conscientes que les questions de santé professionnelle, de sécurité et d'environnement dans les chantiers asiatiques suscitent des inquiétudes en termes de conditions de travail et de respect de l'environnement, l'Organisation internationale du travail (OIT), l'Organisation Maritime Internationale (OMI) et le Secrétariat de la convention de Bâle se sont réunies à Genève du 12 au 14 décembre 2005. Guidée par ces intérêts économiques, l'OMI a proposé de créer une nouvelle convention pour les bateaux en fin de vie qui n'intégrerait pas les principes de la convention de Bâle, sous prétexte qu'ils ne conviennent pas au cadre maritime. Les principes de la convention étant déjà intégrés dans la législation européenne, l'organisation maritime a été sommée de trouver une nouvelle solution, qui tienne compte de ces exigences et s'applique au contexte maritime. Craignant que l'OMI ne laisse de côté les deux garde-fous que sont l'OIT et le Secrétariat à la convention de Bâle, Greenpeace, la FIDH et Ban Asbestos lui ont proposé d'intégrer dans son système un plan en trois phases. Le pays exportateur aurait le devoir d'informer les populations de sa démarche, devrait obtenir l'agrément du pays importateur et devrait s'assurer que ce dernier possède les technologies nécessaires, ou les créer le cas échéant. Cette proposition n'a été à l'heure actuelle ni rejetée ni acceptée et constitue aux yeux des associations un espoir pour les négociations, qui devront durer trois ans avant l'application de la loi d'ici cinq ans.