Chargé de mission OGM des Verts au Parlement européen
Actu-environnement : Qu'est-ce que le réseau GMO-free Europe ?
Arnaud Apoteker : Le réseau GMO Free Europe a été créé il y a sept ans, en opposition aux autorisations européennes qui ont été délivrées pour des OGM. Il regroupe des régions de tous niveaux : de la région administrative à des communes, des collectivités locales, des parcs ou des "pays". Ce mouvement de la société civile va au-delà des frontières de l'UE, avec des zones engagées en Turquie, en Serbie, en Norvège…
AE : Quel est le pouvoir de ces collectivités face aux autorisations européennes de culture d'OGM ?
AA : C'est un vrai sujet de débat. Leur pouvoir est très différent d'un pays à l'autre. Dans les Etats fédéraux, comme l'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne, les régions administratives ont un pouvoir législatif et donc d'interdiction. Par exemple, en Italie, s'il n'y a pas de culture d'OGM aujourd'hui, c'est parce que les régions administratives se sont déclarées sans OGM.Les zones sans OGM en Europe
Aujourd'hui, l'Autriche, la France, l'Allemagne, la Grèce, la Hongrie, l'Italie, la Pologne et la Roumanie ont pris des mesures de sauvegarde contre au moins un OGM, le MON 810. L'Autriche a également interdit le MON863 et le T25. L'Italie a interdit toute culture d'OGM sur son territoire.
En France, en 2010, 21 régions administratives se sont déclarées sans OGM, 9 départements, un parc naturel (Queyras) et 116 communes. Au total en Europe, 169 régions administratives ont rejoint le réseau GMO Free Europe, 123 provinces, départements ou préfectures, 4.713 communes et plus de 31.000 particuliers (dont la plupart sont des agriculteurs allemands).
En revanche, en France, les régions sans OGM sont davantage dans la déclaration politique, elles n'ont pas de réel pouvoir d'interdire les OGM. La question ne se pose pas vraiment aujourd'hui car une clause de sauvegarde a été instaurée par le gouvernement français sur le maïs MON810. Plusieurs communes ont pris des arrêtés municipaux d'interdiction et tous n'ont pas été cassés par les préfectures. Le tribunal administratif a même parfois tranché en leur faveur lorsqu'elles faisaient valoir que l'interdiction des OGM avait une justification économique, car la part de production biologique est importante sur leur territoire. Mais si jamais la clause de sauvegarde est suspendue, ce qui peut arriver prochainement, il est probable que les industriels feront davantage pression pour faire annuler ces arrêtés municipaux. Que feront alors les régions françaises pour préserver leur statut ? Négociations ? Activisme pour préserver une agriculture durable, de territoire et proche des citoyens ? Cette question sera au centre de notre conférence.
AE : Au niveau européen, quelle est la légalité de l'action de ces régions ?
AA : Il y a un flou complet. La Commission européenne n'a pas été cohérente sur le sujet. L'Autriche et la Hongrie ont été les premières à activer des clauses de sauvegarde sur leurs territoires. L'Efsa, consultée par la Commission, a jugé que les raisons invoquées par ces Etats n'étaient pas de nature à justifier une interdiction. Mais la proposition de la Commission de lever ces trois clauses de sauvegarde a été désavouée par les Etats membres et, depuis, il ne s'est rien passé. Aujourd'hui, six ou sept pays ont pris des moratoires sur les OGM.
Le cas de la France est différent car la Cour de justice européenne a été saisie par le Conseil d'Etat : c'est donc une juridiction nationale qui va trancher la question. Pour l'heure, la Commission ne s'est pas prononcée sur le cas de la France. Elle sait que, si légalement elle a le droit de demander l'annulation des clauses de sauvegarde, politiquement elle ne sera pas soutenue.
AE : Justement, la Commission européenne propose de donner plus de libertés aux Etats membres concernant les autorisations des OGM. Mais ceux-ci bloquent cette proposition…
AA : Nous sommes là au cœur du débat sur les OGM. Le gouvernement français a activé une clause de sauvegarde car il estime que l'évaluation du MON810 n'a pas été menée de manière suffisante. Si la France et l'Allemagne bloquent la proposition de la Commission, c'est pour les mêmes raisons. Les évaluations sont faites au niveau européen, donc il faut les améliorer avant de permettre à un Etat membre d'autoriser ou de refuser la culture d'un OGM sur son territoire. Avant d'accepter des interdictions nationales, travaillons d'abord sur une évaluation sérieuse. Il ne faut pas se précipiter dans un sens ou dans l'autre. Nous devons nous battre sur les deux fronts.
AE : L'Efsa a été très critiquée, notamment pour des questions de conflit d'intérêt. Sa présidente a d'ailleurs démissionné. Où en est-on aujourd'hui ?
AA : L'Efsa a renouvelé très récemment son panel scientifique. Mais apparemment, les experts chargés des OGM seraient principalement des pro-OGM. Cela paraît logique : aujourd'hui, un chercheur qui se prononce ouvertement en défaveur des OGM peine à obtenir des crédits de recherche et n'est donc pas reconnu... Récemment, le commissaire européen Dalli a renvoyé à l'Efsa trois OGM qui avaient déjà obtenu un avis favorable pour autorisation de l'agence, pour renforcement de l'évaluation. Est-ce un signe des doutes qui pèsent sur le sérieux de l'évaluation scientifique ?