Une étude menée par la biologiste Jennifer Wolstenhome et son équipe de recherche de l'université américaine de Virginie a été rendue publique dans la revue Endocrinology (1) , confirmant le caractère héréditaire de certains effets provoqués par le bisphénol A (BPA) dénoncé en 2009 par le Réseau environnement santé (RES).
Rappelons que le BPA est un produit chimique utilisé pour la fabrication de plastiques et de résines, notamment dans les plastiques alimentaires (polycarbonate et polyépoxy) dont les biberons, les revêtements intérieurs des canettes, des boîtes de conserve et de certains appareils ménagers comme la bouilloire. Ce produit n'est normalement pas présent à l'état libre dans les plastiques alimentaires, mais il s'en extrait spontanément à faible dose en conditions normales de température et de pression, et en quantité plus importante lors du chauffage ou du nettoyage de ces plastiques par des détergents.
En mars 2009, une étude réalisée sur des animaux et publiée par le CRIIGEN mettait en évidence des effets du BPA sur la taille et le fonctionnement de certains organes comme le pancréas, la rate, les reins et les organes reproducteurs. Au vu des faibles doses de BPA auxquelles est exposé l'homme, le rapport ne dénonçait pas une toxicité aigue mais une toxicité à long terme. Les experts du CRIIGEN n'ont pas été trop alarmistes puisque la nouvelle étude de l'université américaine de Virginie réalisée sur des souris montre que non seulement une exposition courte au BPA modifie durablement le fonctionnement de certains de leurs organes, mais ces altérations sont de plus transmises à leur descendance.
Les découvertes de ces chercheurs américains sur les effets transgénérationnels du BPA portent sur des modifications des comportements sociaux et de la synthèse de certaines hormones chez la souris. L'expérience a été effectuée sur deux lots de souris femelles : des femelles en chaleur juste avant reproduction et des femelles en gestation. Chaque lot est séparé en deux selon leur alimentation avec ou sans BPA. Les "mères BPA", c'est-à-dire les femelles "nourries au BPA", présentent des taux plasmatiques de BPA équivalents à ceux mesurés chez l'homme. Les chercheurs mettent en évidence des différences nettes de comportement et au niveau de la synthèse de deux hormones, la vasopressine et l'ocytocine, entre les descendants des femelles en gestation nourries au BPA et les femelles témoins. Ces deux caractères sont étudiés chez les "descendants BPA", c'est-à-dire les descendants de première génération, directement mis en contact avec le BPA dans l'utérus au cours de leur développement embryonnaire, et chez les descendants de seconde, troisième et quatrième générations qui n'ont jamais été mis directement en contact avec le BPA.
Où en est en 2012 la réglementation sur le BPA ?
Les précurseurs sur la question ont été le Canada, qui ont interdit dès 2009 l'utilisation de BPA dans les biberons. Quelques mois plus tard, les six plus grands fabricants américains de biberons décident de ne plus commercialiser leurs produits contenant du BPA aux Etats-Unis. Ils sont suivis par la France et le Danemark en 2010 puis par l'Union européenne fin 2010.
Pour Michèle Rivasi, députée Europe-Ecologie les Verts, "il est aujourd'hui urgent d'élargir cette interdiction à tous les contenants (…). L'agence européenne EFSA, pas encore convaincue des dangers du BPA, doit avancer sur ce sujet".
La vasopressine est une hormone antidiurétique, c'est-à-dire qui diminue le volume des urines en provoquant la réabsorption d'eau au niveau des reins. Son inhibition entraîne une augmentation du volume des urines à l'origine d'une déshydratation de l'organisme.
Les chercheurs prouvent statistiquement que les quatre générations issues des "mères BPA" présentent des taux de synthèse de cette hormone inférieurs à la normale, ce qui pourrait expliquer les observations de dysfonctionnement des reins publiées en 2009 par le CRIIGEN.
Modifications du comportement social des souris
Dans le cadre de ces recherches, l'équipe de chercheurs de l'université de Virginie prouve que tous les descendants issus d'une "mère BPA" présentent des comportements anormaux contrairement aux descendants des mères témoins. Ils font une seconde découverte à l'échelle moléculaire : les quatre générations issues de "mères BPA" présentent des taux de synthèse de l'ocytocine inférieurs à la normale, ce qui pourrait expliquer leurs troubles comportementaux. En effet, de nombreuses études ont montré que l'ocytocine est une hormone qui facilite les interactions sociales en augmentant la mémoire sociale, la confiance en autrui, la motivation d'engagement social et en diminuant la peur du contact. De nouvelles expériences sont attendues pour confirmer l'impact direct de la diminution du taux d'ocytocine dans l'organisme sur les changements comportementaux observés chez ces souris issues de "mères BPA".
Pour les chercheurs il est donc clair que "les effets transgénérationnels d'un produit chimique perturbateur endocrinien peuvent être à l'origine de maladies neurologiques complexes". Ce qui selon eux "met en évidence la nécessité de considérer l'existence d'interactions entre gènes et environnement pour comprendre les causes de maladies complexes".