Ce lundi 17 mars, pour la première fois depuis une quinzaine d'années, les habitants de Paris et des départements limitrophes font l'expérience de la circulation alternée. Une mesure qui n'aura duré qu'une journée, le ministre de l'Ecologie ayant annoncé ce jour que le dispositif ne sera pas reconduit mardi.
Depuis samedi et l'annonce de Matignon, les réactions ne manquent pas. Passage en revue des principaux arguments avancés.
Un épiphénomène et un symbole
Premier constat, personne n'est particulièrement enthousiaste. Même les partisans d'une lutte plus vigoureuse contre la pollution n'expriment pas une grande satisfaction.
Ainsi, Corinne Lepage, ancienne ministre de l'Ecologie à l'origine de la loi du 30 décembre 1996 sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie (Laure) qui prévoit la circulation alternée, estime dans une tribune (1) que "la mise en œuvre de la circulation alternée (…) n'est en réalité qu'un épiphénomène et un symbole : celui du refus d'agir et de la priorité donnée à de prétendus intérêts économiques sur la santé humaine et les coûts pour les finances publiques".
Cette longue tribune permet à l'ancienne ministre de mettre en avant certains résultats qui, selon elle, auraient pu être obtenus "si la loi sur l'air avait été appliquée". Parmi ceux-ci figurent des plans de protection de l'atmosphère (PPA) dont l'objectif "aurait été de ramener à l'intérieur de la zone concernée la pollution à un niveau inférieur aux valeurs limites", des plans de déplacements urbains (PDU) qui "auraient expressément visé la réduction de la circulation automobile, l'organisation du stationnement, le transport des marchandises, le covoiturage et les plans de déplacement d'entreprises", et, plus globalement, "la France serait dotée des outils techniques permettant effectivement de réduire la pollution atmosphérique" et d'assurer une meilleur santé pour tous.
Dernier détail avancée par Corinne Lepage : la loi Laure "prévoyait l'installation du réseau de distribution d'électricité publique pour alimenter en courant électrique des emplacements de stationnement de véhicules permettant la charge des accumulateurs", à l'heure où la mobilité électrique soutenue par le gouvernement peine à décoller.
"Mais la loi sur l'air a été sabotée, par les gouvernements successifs", critique l'ex-ministre qui dénonce "le rôle des lobbys automobiles et pétroliers".
Mesure ponctuelle avant des mesures pérennes et efficaces
Le plaidoyer pour des mesures pérennes et ciblant le diesel est le leitmotiv des acteurs favorables à une action vigoureuse en matière de lutte contre la pollution. La circulation alternée n'est alors, au mieux, qu'une mesure ponctuelle et nécessaire lors des pics de pollutions.
Ainsi, Agir pour l'environnement affiche sa satisfaction de voir que le gouvernement "a enfin accepté de mettre en place une circulation alternée". Néanmoins, l'association juge qu'il ne s'agit que "[d'une] mesure ponctuelle visant à endiguer une situation extrême". Elle appelle surtout l'Etat à "repenser la politique des transports afin de réduire significativement la pollution de fond" et de mettre un terme à ses tergiversations concernant le soutien fiscal dont bénéficie le diesel, l'abandon de l'écotaxe et le report d'investissements en matière de transports collectifs.
Approche particulièrement prudente du côté de la Fondation Nicolas Hulot (FNH) qui parvient, ce lundi, à publier un communiqué sur la pollution atmosphérique sans évoquer la mise en œuvre de la circulation alternée… Estimant que "l'année 2013 a été marquée par un véritable jeu de dupes autour (…) du diesel", la fondation appelle les pouvoirs publics à "mettre bas les masques et de s'engager sur trois mesures phares: la sanctuarisation du financement des alternatives au «tout voiture», la mise en place d'une prime à la conversion proportionnée aux revenus et l'application du principe pollueur payeur dans la mobilité". FNH propose, entre autres, de relancer les projets bloqués par le report de l'écotaxe poids-lourds, de créer une nouvelle prime à la casse qui serait une "prime à la conversion, d'en moyenne 1.000 euros, proportionnée aux revenus" et destiné à l'achat, neuf ou d'occasion, de véhicules moins polluants, ou encore d'appliquer le principe pollueur-payeur à la mobilité.
Mesure inapplicable, précipitée et inefficace
Premiers constats
A la mi-journée, Philippe Martin, le ministre de l'Ecologie, a souligné "le bilan positif de la mise en place de la circulation alternée" et le "civisme dont font preuve les franciliens". Le ministère met en avant quatre éléments.
La congestion automobile matinale (8h-10h) a chuté de 62% par rapport au lundi précédent pris comme référence. Le pic de bouchon s'est établi à 114 km, contre 259 km lundi dernier. Sur les principales voies d'accès à Paris le trafic a chuté de 25 à 30%.
Les 179 points de contrôle de la préfecture de police "n'ont engendré aucune difficulté de circulation" et "90% des véhicules en circulation dans la capitale portaient une plaque impaire".
A 12 heures, 3.859 procès-verbaux pour non-respect de la circulation alternée ont été dressés et 27 contrevenants non-coopératifs ont vu leur véhicule immobilisé.
Les observations à la mi-journée font apparaître une amélioration de la qualité de l'air sur l'Ile-de-France "principalement liée aux vents légèrement plus forts, aux moindres inversions de température et à la baisse du trafic".
L'association jugeait alors que "[la] mesure serait inapplicable au niveau économique et favoriserait l'usurpation de plaques d'immatriculation". Autre problème, la différence entre nouvelles et anciennes plaques minéralogiques qui demanderait "une organisation titanesque et irréalisable". De plus, mettant en avant, "notre mode de vie (…) basé sur une société de consommation", l'association dénonce une mesure qui "[diminuerait] le «pouvoir rouler» des automobilistes et donc les [empêcherait] de consommer et d'aller au travail".
Par ailleurs, 40 millions d'automobilistes indique que "dans certaines régions françaises, le chauffage au bois participe à hauteur de 45 à 73% des émissions de particules lors des pics de pollutions". Quant à l'Ile-de-France, "ce sont les vents nordiques, fortement chargés en particules fines émises par le chauffage, qui amènent une concentration importante".
De son côté l'Automobile Club estime que la circulation alternée est "une mesure précipitée, inefficace et dont la cible est facile". L'association dénonce "une mesure d'annonce qui va surtout générer la pagaille".
L'association "admet que la part routière représente près de 18% des émissions de particules dans l'air", citant les chiffres nationaux du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa), mais "se demande : qu'en est-il des 82% restant ?". Estimant que "dans tous les pays où cette mesure a été prise, elle n'a eu aucun effet", l'Automobile Club juge que "tant qu'on ne règlera pas les problèmes de fond comme le stationnement, sachant que 20% des voitures roulent pour trouver une place où se garer, on ne règlera rien !".
Moins tranchée, la Fédération nationale du transport routier (FNTR) évoque l'"impact relatif" de la circulation alternée et déplore en particulier le fait que l'ensemble des poids-lourds de plus de 3,5 tonnes soit interdit, sauf dérogation. Elle critique une "mesure brutale", les entreprises n'ayant eu que 24 heures pour se préparer, "l'absence d'anticipation", alors que le pic de pollution dure depuis une semaine, "un défaut de pragmatisme", la liste des dérogations étant trop restreinte, et une "mesure stigmatisante pour le transport routier".
"Force est de constater aujourd'hui que les entreprises qui ont investi dans du matériel performant d'un point de vue environnemental sont autant pénalisées que les autres", critique la FNTR, rappelant que les véhicules les plus récents sont moins émissifs.