L'EPR de Flamanville (Manche) sera-t-il mis en service avant le 11 avril 2024 ? EDF sera-t-elle en mesure de charger le premier assemblage de combustible dans le cœur avant l'échéance fixée par le décret d'autorisation ?
Ces questions inquiètent l'Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest (Acro), la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), Global Chance et le Groupement de scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire (GSIEN).
Le 6 mars, ces quatre associations expertes du nucléaire ont expliqué craindre que pour tenir le délai règlementaire, EDF mette symboliquement en service le réacteur, plutôt que de demander une nouvelle prolongation et annoncer un énième report. Et les quatre associations de s'interroger « sur les risques que ferait courir une mise en service hâtive de l'EPR ».
De son côté, contacté par Actu-Environnement, EDF indique maintenir son calendrier : un chargement du combustible au premier trimestre 2024 et un couplage au réseau en milieu d'année. L'entreprise n'a pas de commentaire supplémentaire concernant l'approche de l'échéance réglementaire du 11 avril.
Un chargement avant le 11 avril
Très précisément, le texte aujourd'hui en vigueur précise que la mise en service de l'EPR correspond au « premier chargement en combustible nucléaire du réacteur ». Et celui-ci doit être effectué au plus tard dix-sept ans après le 11 avril 2007, date de publication du décret original.
Aujourd'hui, à un mois du 11 avril, « on peut douter [de la mise en service du réacteur], car, dix-sept ans après le début des travaux, la situation s'avère très confuse », expliquent les quatre organisations. Surtout, « les événements des derniers jours interrogent sur les conditions de la mise en service et sur le fonctionnement futur du réacteur », estiment-elles, mettant en avant plusieurs sujets d'inquiétudes.
Suspicions de falsifications
Au-delà du retard pris, le sujet a pris un tour nouveau, fin janvier, après que Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), a expliqué que 43 cas de fraudes avérées ont été constatés, dont trois ont fait l'objet d'un signalement au procureur de la République. Dans la foulée, Reporterre révélait qu'au moins un des trois cas signalés à la justice concerne un fournisseur du chantier de l'EPR de Flamanville.
Et le média de préciser qu'il s'agit d'équipements sous pression, c'est-à-dire susceptibles de contenir un fluide radioactif et soumis à des pressions pouvant atteindre 155 bars et des températures d'environ 300 °C. « On évoque des vannes et soupapes, composants très sensibles pour la sûreté du réacteur », expliquent les quatre organisations.
Elles ajoutent que, le 23 février dernier, le sujet a été abordé lors d'une réunion de le commission locale d'information (CLI). « Mais aucune réponse n'a été apportée » et les membres de la CLI « [sont repartis] sans savoir si oui ou non des falsifications ont affecté des composants majeurs de l'EPR ».
Elles demandent donc des réponses concernant ces falsifications. Elles veulent notamment savoir quels composants sont concernés et quelle est la nature de la fraude, sachant qu'il peut s'agir de validations d'actions qui n'ont pas réellement été réalisées ou d'irrégularités chez des fournisseurs (falsifications de certificats notamment).
Quid d'un dépassement du délai
Autre sujet d'inquiétude : l'ASN a présenté à la CLI les résultats d'une inspection renforcée menée les 1er et 2 février. « La conclusion est sans appel ; il reste encore beaucoup de travail à réaliser d'ici la mise en service : documents opératoires en cours de mise à jour, une centaine d'alarmes qui clignotent, une centaine d'essais périodiques à réaliser… », détaillent les quatre organisations. Pour elles, « ce réacteur n'est manifestement pas prêt à être mis en service en toute sûreté ».
Elles veulent aussi savoir quand aura lieu la prochaine et dernière consultation du public relative à l'autorisation de mise en service et si cette autorisation sera publiée avant l'échéance fixée par le décret de création d'avril 2007. « Si cette date n'est pas respectée, quelle procédure sera mise en œuvre ? » interrogent-elles.