En 2021, le nord-ouest et le centre de l'Europe ont connu une « sécheresse éolienne » : des vitesses de vent largement en deçà des moyennes annuelles – jusqu'à moins 10 % – notamment au cours de l'été et de l'automne. Soit les plus faibles vitesses enregistrées depuis quarante ans, d'après l'observatoire européen Copernicus. Un phénomène extrême, aussitôt ressenti sur la production des parcs éoliens, qui ont enregistré des chutes vertigineuses, et donc sur le marché de l'électricité. Ce scénario est-il amené à se répéter ? Selon les projections du Giec, la vitesse moyenne du vent pourrait bien chuter en Europe d'ici à 2100, jusqu'à 10 %.
Des business plans modifiés
La circulation atmosphérique évolue à l'échelle régionale, ce qui transforme la ressource éolienne. Les évolutions en cours, liées au changement climatique, auront forcément un impact sur la production d'électrons et donc sur les modèles économiques des projets. En revanche, difficile aujourd'hui encore de savoir précisément quels seront ces changements et dans quels ordres de grandeur. Plusieurs études tentent de les modéliser à l'échelle d'un parc ou d'une zone, car ces variations seront très locales. Mais les incertitudes restent nombreuses. Plusieurs spécialistes du sujet ont fait le point sur la question, lors d'un atelier organisé par WindEurope en juin dernier.
Des impacts selon les zones
Climate Scale a modélisé les impacts du changement climatique sur la période 2000-2099 selon trois scénarios d'émissions de gaz à effet de serre, sur trois zones à fort potentiel de développement éolien : la mer d'Irlande ; la zone Princess Elisabeth, au large de la Belgique ; et Fortaleza, au Brésil.
Résultats : sur les deux premiers sites, la diminution de la vitesse du vent engendrerait une baisse de retour sur investissement des projets. En revanche, au Brésil l'impact pourrait être neutre, voire positif, pour la production éolienne. Mais dans tous les cas, les résultats diffèrent fortement selon le modèle climatique utilisé. « Notre étude montre que le changement climatique a un impact sur la ressource éolienne et la performance financière des projets de parcs éoliens. Ces résultats soulignent la nécessité de prendre en compte ces impacts dans la planification de projets et l'analyse financière », souligne Claudia Olivares Cabello.
Trop d'incertitudes
Toutes les études montrent en effet que le changement climatique impacte les variables atmosphériques à l'échelle locale : vitesse et direction du vent, densité et stabilité de l'air… Les vents ou les températures extrêmes peuvent également engendrer des pertes opérationnelles. Mais « comment évaluer l'impact du changement climatique sur les rendements éoliens et quels sont les ordres de grandeurs auxquels nous pouvons nous attendre ? » interroge Claude Abiven, expert éolien au sein d'Engie Laborelec.
Entre les variations naturelles liées aux phénomènes El Niño - La Niña, l'incertitude et le taux d'erreur des modèles climatiques, mais aussi des scénarios qui dépendront des décisions politiques futures et de leur mise en oeuvre, difficile de se projeter… Et tous les modèles ne s'accordent pas sur la nature des changements à venir.
Engie Laborelec a également tenté de modéliser les évolutions possibles pour trois parcs éoliens théoriques situés à proximité de mâts de mesure existants. Pour le premier site, installé en Belgique sur un terrain plat en zone industrielle, une augmentation de la température de 0,6 °C aurait un impact limité sur la vitesse du vent, la densité, la variabilité interannuelle, ou encore la direction des vents. Sur le deuxième site, en mer du Nord au large des Pays-Bas, une hausse des températures de 0,5 °C engendrerait un léger impact négatif sur la vitesse du vent et sur la densité de l'air, ainsi que sur la direction des vents. Sur le troisième site, au centre des États-Unis au milieu de terres agricoles, une élévation de 1 °C aurait un impact sur la direction des vents. Globalement, à vingt ans ces changements devraient cependant rester mineurs.
Un travail à approfondir
« La principale hypothèse utilisée pour estimer les productions futures de l'éolien et du solaire se base sur le passé », souligne Daran Rife, chercheur principal chez DNV Energy Systems. Mais le passé peut-il permettre de prédire ce qui nous attend ? « Est-ce que cette logique se tient, dans le cadre d'un changement climatique accéléré ? » interroge-t-il.
Seule certitude, selon lui : les changements sont déjà en cours. Pour le reste, des études sont nécessaires pour comprendre comment ceux-ci risquent de se manifester à des niveaux plus locaux ou même à l'échelle d'un site. « Pour déterminer la meilleure façon d'appréhender les impacts du changement climatique dans les évaluations énergétiques, il faudra un engagement fort de la part des industriels et des investisseurs dans leur ensemble. Il faudra développer une méthodologie cohérente pour quantifier clairement les risques physiques pour ces actifs dans un climat changeant, avec une évaluation par des experts de confiance », prévient-il.