« Les grandes sociétés de tabac empoisonnent les obligations de responsabilité élargie des producteurs », estime Surfrider Foundation, qui publie, ce lundi 5 février, un rapport sur le sujet au nom de l'Alliance Rethink Plastic. La fondation a passé en revue la mise en œuvre de la responsabilité élargie des producteurs (REP) tabac prévue par la directive SUP (pour single-use plastics). Le texte européen, qui prévoit sa mise en œuvre depuis le 5 janvier 2023, est très mal appliqué par les États membres. Son application est retardée ou édulcorée et la prise en charge des coûts minorée, explique Surfrider.
Une mise en œuvre basique
À l'échelle mondiale, les mégots constituent le déchet en plastique le plus collecté lors des opérations de nettoiement des déchets. Quelque 4 500 milliards sont jetés dans la nature chaque année. En bout de course, 40 % se retrouvent dans les océans. L'Europe n'échappe pas à la règle : les filtres sont le déchet le plus fréquemment trouvé sur les plages, explique Surfrider, précisant en avoir ramassé plus de 2,4 millions à l'occasion des opérations de nettoiement qu'a menées la fondation, en 2022, dans divers milieux. À cela s'ajoute la pollution des eaux, à raison de 1 000 litres par mégot.
Pour autant, la mise en œuvre effective de cette application du principe du pollueur-payeur laisse à désirer. Un an après l'échéance fixée par Bruxelles, le rapport explique que les États membres « [ont opté] pour une mise en œuvre plutôt basique des exigences de la directive et en rendant de facto non opérationnelles un grand nombre des mesures introduites ».
L'exemplarité environnementale en question
Parallèlement, l'Alliance contre le tabac (ACT) France Nature Environnement, Les Amis de la Terre et Surfrider demandent au Carbon Disclosure Project (CDP) d'exclure l'industrie du tabac de son palmarès. « Au regard de ses conséquences désastreuses sur l'environnement, il est inconcevable que l'industrie du tabac puisse se positionner comme un acteur de la transition écologique », expliquent les associations qui demandent au CDP « de respecter le droit international en cessant de promouvoir l'industrie du tabac ». Concrètement, l'ACT critique la note triple A attribué à Philip Morris International en 2020, 2021 et 2022 dans les catégories « lutte contre le changement climatique », « gestion des forêts » et « sécurisation des ressources en eau ». De même, British American Tobacco a reçu un A en 2022 pour sa lutte contre le changement climatique. « Or, l'industrie du tabac est tout sauf environnementalement responsable : chaque année les cigarettiers sont responsables de la destruction de 600 millions d'arbres et de la perte de 22 milliards de tonnes d'eau. Sans compter les 4 500 milliards de mégots disséminés au sol. »
De nombreux pays ont retardé l'échéance fixée par la directive. L'Allemagne a fixé le lancement de la REP à 2024, tout comme l'Estonie. L'Espagne aussi n'a pas respecté l'échéance de janvier 2023, puisque le décret d'application n'est toujours pas publié. La Slovaquie a, quant à elle, reporté l'échéance de deux ans, à fin 2024. Et Chypre n'a toujours pas transposé la mesure. « En fait, dans la majorité des États membres, les programmes ne sont pas en place ou viennent tout juste de commencer à fonctionner, comme en République tchèque où [l'éco-organisme] a été créé en octobre 2023 », résume le rapport.
Quant à la France, elle avait prévu le lancement de la filière dès 2021, avec deux ans d'avance. Mais un recours des producteurs de tabac a retardé la mise en œuvre du dispositif, l'État ayant dû reprendre un nouveau cahier des charges, fin 2022.
Des financements à préciser
Autre sujet critique : la prise en charge des coûts par les éco-organismes. La directive prévoit qu'ils supportent une série de charges, en particulier le nettoiement des mégots jetés à terre. Pour mettre en œuvre cette disposition, la législation autorise le versement d'un soutien forfaitaire aux services publics de propreté. Et la Commission devait évaluer ce coût.
Las, les préconisations de Bruxelles ne sont toujours pas connues. « Il est important de noter que cette absence de lignes directrices a été utilisée par certains États membres pour justifier le fait que la REP n'a pas encore été mise en place au niveau national », déplore Surfrider. La mesure est pourtant essentielle, car la REP tabac inaugure la première « REP nettoiement », par distinction avec la REP classique qui prend en charge des déchets triés et collectés.
En outre, certains pays ont introduit des dispositifs d'abattement des coûts. L'Italie a pondéré le soutien au nettoiement en fonction du poids du filtre rapporté au poids total du produit. Quant à la Slovénie, elle a supprimé la prise en charge par de la sensibilisation du public. Finalement, Surfrider estime que les coûts endossés « paraissent très faibles au regard des revenus considérables que génèrent les ventes de cigarettes ».
Exclure l'industrie du tabac de la gouvernance
Comment améliorer la situation ? En modifiant la gouvernance de la filière. « Les acteurs du secteur du tabac doivent être exclus de la gouvernance du dispositif de REP et de toute décision ou activité menées au nom du dispositif, conformément aux règles internationales en matière de lutte antitabac », explique Surfrider. La fondation estime que son rapport « révèle au mieux une confusion, au pire des arrangements avec le texte de l'UE dans les régimes de REP établis au niveau national entre la responsabilité financière et la responsabilité opérationnelle en matière de sensibilisation ».
En outre, en confiant la sensibilisation et la communication aux producteurs de tabac rassemblés dans les éco-organismes, la législation européenne leur permet « de se présenter comme un acteur socialement responsable en dépit de règles internationales claires en la matière ». En l'occurrence, la Convention-cadre de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la lutte antitabac (CCLAT) fixe justement un principe de non-ingérence de l'industrie du tabac dans l'élaboration des politiques publiques les concernant.
Au-delà, la révision de la directive SUP, prévue pour 2027, et les négociations en cours constituent « des opportunités complémentaires de s'attaquer à la pollution plastique générée par les produits du tabac, avec plus d'ambition et d'impact ».