À l'heure où plus de la moitié des limites biophysiques de la planète sont considérées par la communauté scientifique comme ayant été transgressées par l'activité humaine, quelle est la part de responsabilité imputable à un pays comme la France ? Le Service des données et études statistiques (Sdes) du Commissariat général au développement durable (CGDD), principalement rattaché au ministère de la Transition écologique, offre quelques éléments de réponse dans une synthèse (1) publiée le 6 octobre.
Sept sur dix limites planétaires déjà dépassées
Pour rappel, la Commission de la Terre, un consortium scientifique international, retient un modèle planétaire caractérisé par neuf limites (et quelques sous-limites) au-delà desquelles le bon fonctionnement du « système Terre » n'est plus garanti. Au moins six limites ou sous-limites sont déjà complètement ou partiellement franchies à l'échelle mondiale : émissions de gaz à effet de serre, érosion de la biodiversité, concentrations excessives d'azote et de phosphore, artificialisation des sols et la pollution biochimique. Une autre limite, celle de la concentration atmosphérique en aérosols, reste insuffisamment quantifiable pour les scientifiques.
La France pêche par sa déforestation importée
Et d'après les données rassemblées par le Sdes, la France, à son échelle, ne fait que légèrement mieux. À son niveau, elle contribue au dépassement d'au moins deux limites et participe à réduire l'écart avec une troisième encore non transgressée à l'échelle mondiale. Avec une empreinte carbone moyenne située entre 7 et 8,9 tonnes d'équivalent dioxyde de carbone (CO2), les Français émettent plus de gaz à effet de serre que le Terrien moyen (4,7 tCO2e/hab), en prenant en compte les conséquences climatiques de leurs importations. Par ailleurs, avec une quantité d'azote en excès estimé à 55 kilogrammes par hectare (kg/ha), la France atteint tout juste le seuil moyen de 55 kg/ha, considéré comme fourchette haute pour cette limite. De plus, son indice d'abondance moyenne d'espèces originelles (comprise entre 0, correspondante à une extinction totale, et 1, un écosystème intact) est fixé à 0,36, bien en-dessous de la moyenne mondiale (0,56) et de la limite planétaire (0,72).
S'agissant de l'utilisation ou de l'artificialisation des terres (dont la limite demeure intacte sur le plan planétaire), l'empreinte « forêt » française exploite plus de 40 % des espaces naturels, en incluant la déforestation importée. « On estime qu'entre 12 et 14,8 millions d'hectares de surfaces agricoles et forestières sont mobilisés chaque année hors de nos frontières ("empreinte terre") pour produire des biens consommés en France, expliquent les experts du Sdes. La déforestation associée ("empreinte forêt") est estimée entre 26 300 et 64 400 ha par an. Si tous les humains avaient une empreinte forêt identique à celle d'un Français, le seuil haut de la limite (40 % de la superficie originelle des forêts tropicales et boréales détruites) serait dépassé dans une soixantaine d'années. »
Traduire les limites planétaires à l'échelle locale
Les experts du Sdes ont également tenté d'appliquer le modèle des limites planétaires à l'échelle d'un territoire, en examinant le schéma de cohérence territoriale (Scot) Sud-Loire. Certains indicateurs sont compatibles, comme l'objectif de neutralité carbone porté par le plan climat-air-énergie territorial (PCAET). Idem pour l'influence du territoire sur le cycle de l'azote. Ainsi, en prenant en compte le surplus d'azote organique issu de l'élevage (lequel entraîne l'eutrophisation du bassin hydrographique par endroit), « le territoire dépasse la zone d'incertitude associée à la limite planétaire transposée au niveau local » selon les experts du Sdes.
Mais à y regarder ainsi de plus près, ces derniers se sont aperçus que la majorité des objectifs de politiques environnementales locales restent trop éloignées de cette approche planétaire. En matière de biodiversité, par exemple, le maintien d'un certain niveau de continuité écologique à l'échelle locale « ne garantit pas que le territoire ne dépasse pas sa contribution maximale à la perte de richesse et d'abondance des espèces à l'échelle globale ».
La limite d'une transposition nationale
Quant au reste, il demeure plus difficile d'en juger. La France possède la quatrième plus grande surface corallienne du monde, dont 67 % est protégée. Elle « porte à ce titre une grande responsabilité quant à la préservation de ces écosystèmes » et, de ce fait, dans la lutte contre l'acidification des océans qui les menacent. À l'échelle planétaire, cette acidification (marquée par la diminution du calcaire des coraux ou des coquillages, CaCO3) reste soutenable : la concentration moyenne d'aragonite (une des formes minérales de CaCO3) dans l'eau de mer est encore supérieure à 80 %.
La pollution de l'air, bien qu'en légère diminution ces dernières années sur le territoire métropolitain (- 4 % d'oxydes d'azote, et - 10,5 % de particules fines de type PM2,5 en 2022 par rapport à 2021), continue d'entraîner la mort d'environ 40 000 Français par an, selon Santé publique France. Enfin, le Sdes n'est pas parvenu à déterminer la contribution exacte de la France à la pollution biochimique (plastique, nanoparticules, OGM et radionucléides). Cela étant, plusieurs actions sont en cours ou portées pour l'amoindrir : la mise en œuvre de la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) ou encore le projet de stockage à long terme des déchets radioactifs (Cigéo).