« Toute étude de dangers doit s'appuyer sur une description suffisante des installations, de leur voisinage et de leur zone d'implantation. » C'est ce que rappelle en premier lieu l'inspection des installations classés sur son site à propos de cette étude, dont l'objet est de préciser les risques auxquels exposent l'installation « directement ou indirectement, (…) que la cause soit interne ou externe à l'installation ».
Manifestement, cette approche n'est pas celle du groupe américain Lubrizol, dont l'usine de Rouen a flambé le 26 septembre. Son PDG, Éric Schnur, était la première personne auditionnée, mardi 22 octobre, par la commission d'enquête mise en place par le Sénat. Avec les réserves liées à l'expression en langue anglaise du PDG et à sa connaissance sans doute limitée des législations européennes et nationales, son audition démontre la mauvaise prise en compte de l'environnement extérieur de l'usine alors que le dirigeant soutient aujourd'hui que le feu a une origine externe.
« Une évaluation des risques quelques jours avant »
« Cela fait partie de la réglementation Seveso, nous faisons des analyses de risques très, très nombreuses. Nous avons fait une évaluation des risques pour le site et la partie qui a brûlé, et ce, quelques jours seulement avant l'incident », a indiqué Éric Schnur. Cette déclaration, faite sous serment, laisse entendre que l'entreprise a bien actualisé ses études de dangers cette année. Le directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal), Patrick Berg, a indiqué le 23 octobre devant la mission d'information de l'Assemblée nationale que les cinq volets de l'étude de dangers de l'établissement étaient "parfaitement à jour" au moment de l'accident. Et ce, bien que deux augmentations de capacités successives aient été autorisées cette année par la préfecture en dispense d'évaluation environnementale.
Pour autant, ces études n'ont manifestement pas pris en compte le risque extérieur, et en particulier celui lié à l'installation Normandie Logistique voisine qui stockait 9 000 tonnes de produits divers. « Nous ne pouvons pas faire d'analyse de risque pour un événement qui se déclarerait en dehors du périmètre de notre site car nous ne pouvons pas savoir dans tous les détails ce qui se passe en dehors », a déclaré le PDG du groupe chimique, en contradiction avec les exigences de la réglementation. Lubrizol ne pouvait d'autant plus ignorer cette source supplémentaire de risques qu'elle faisait appel à son voisin pour stocker une grande quantité de ses produits (4 157 t au moment du sinistre), pour des raisons « d'espace et de facilité logistique », a expliqué Éric Schnur.
« Normandie Logistique n'est pas un site Seveso, [il est] donc considéré comme un site à faible risque donc ne peut pas entrer en ligne de compte dans une analyse de risques Seveso », a en outre déclaré le dirigeant. Cet établissement, dont les trois entrepôts ont brûlé lors du sinistre, n'est effectivement pas un site Seveso. Il n'apparaît d'ailleurs même pas dans la base de données des installations classées, alors qu'il aurait dû au minimum relever du régime d'enregistrement. Et ce, contrairement à ce qu'a déclaré dans un premier temps le directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal). Quoi qu'il en soit, Seveso ou non, « il entrait dans les obligations tant de l'industriel que de l'administration de tutelle de tout mettre en œuvre pour prévenir tout " effet domino " », rappelle Gabriel Ullmann, docteur en droit.
« Au milieu d'un no-man's land »
« On a du mal à penser que vous avez travaillé comme si votre entreprise était au milieu d'un no-man's land sans intégrer dans votre réflexion, sur la prévention des risques, le voisinage immédiat », a taclé Hervé Maurey, président de la commission d'enquête. D'autant que le sénateur pensait que le PDG mettait en cause directement Normandie Logistique dans l'origine de l'incendie.
« Je n'ai jamais dit que le feu venait de notre voisin Normandie Logistique mais la source est extérieure à notre site. Nous ne savons pas où le feu s'est déclaré », a déclaré Éric Schnur. « Pour évaluer les risques associés à un site qui n'est pas Seveso, donc avec des matériaux qui ne sont pas Seveso, cela donne une analyse de risque qui n'est pas de risque élevé », a cherché à expliquer le PDG, toute en garantissant avoir tenu compte de l'entrepôt voisin.
Confusion avec le rapport d'accident
Enfin, le n°1 du groupe chimique semble faire une confusion entre l'étude de dangers qui doit être produite préalablement à l'ouverture d'une installation classée soumise à autorisation, ou préalablement à une modification jugée substantielle par le préfet, et le rapport d'accident qui fait suite à un sinistre et qui doit préciser les circonstances et les causes de l'accident.
« Nous menons l'analyse d'impact de cet événement avec la Dreal, avec la préfecture », a répondu Éric Schnur au sénateur Ronan Dantec, qui cherchait à savoir si Lubrizol avait travaillé avec les services de l'État en amont sur les menaces extérieures à l'établissement. « Nous ne pouvons pas estimer les composantes de ce feu eu égard aux sites extérieurs », avait déclaré le PDG quelques minutes plus tôt.
L'analyse de l'accident reste en effet primordiale mais elle ne doit pas occulter les éventuelles carences dans la prévention des accidents liées à une insuffisance des études de dangers réalisées en amont.