La ministre de l'Environnement Ségolène Royal a reçu jeudi 3 mars Vytenis Andriukaitis, commissaire européen à la Santé. Ce fut l'occasion de mettre en avant les décisions françaises en matière de santé-environnement. La ministre a surtout appelé la Commission à plus d'ambition sur certains sujets ou du moins à ne pas accuser la France d'aller trop loin. Au menu : perturbateurs endocriniens, bisphénol A, pesticides néonicotinoïdes et glyphosate.
Pour une définition "ambitieuse" des perturbateurs endocriniens
Interpellé sur la question des perturbateurs endocriniens, le commissaire européen a confirmé son intention d'aboutir à la définition de critères d'identification avant l'été 2016 au lieu de fin 2016. Il attend toujours les résultats de l'étude d'impact économique lancée en 2015. La ministre lui a d'ailleurs suggéré d'intégrer dans son analyse les bénéfices sanitaires et économiques de la prévention et de ne pas s'appuyer uniquement sur les coûts économiques directs liés à l'adaptation de l'industrie : "Cela contre-balancerait le poids des lobby industriels", a-t-elle plaidé sans recevoir l'aval officiel du commissaire. Selon une étude publiée en mars 2015 dans la revue The Journal of Clinical Endocrinology & Metabolism, les méfaits liés aux perturbateurs endocriniens coûteraient 157 milliards d'euros par an, soit 1,23% du PIB de l'Union européenne.
Le sujet est au menu du Conseil des ministres européens de l'environnement du vendredi 4 mars. La France compte bien réitérer ses demandes et convaincre ses collègues européens de soutenir une définition "ambitieuse" des perturbateurs endocriniens, à savoir celle qui s'appuie sur la définition de l'OMS et introduit trois niveaux de preuve : perturbateurs endocriniens avérés, suspectés ou substance active endocrinienne.
Bisphénol A : la Commission accorde de la souplesse à la France
Concernant le Bisphénol A, Vytenis Andriukaitis a confirmé l'intention de la Commission européenne de suivre certaines mesures françaises. Elle pourrait proposer rapidement aux Etats membres d'interdire les papiers thermiques contenant du bisphenol A.
Par contre, concernant les contenants alimentaires au BPA, également interdits dans l'Hexagone, la Commission n'est pas aussi pressée. Elle a préparé une feuille de route qui doit être discutée en comité technique. Or, ce document laisse entendre que la loi française doit être assouplie. Ségolène Royal veut surtout que la question soit débattue à l'échelle des décideurs politiques. Chercherait-elle des alliés auprès des autres Etats membres et du parlement européen ? Le Commissaire à la santé a toutefois assuré qu'il n'ira pas jusqu'à accuser la France d'être aller trop loin. D'autres acteurs s'en sont déjà chargés, à l'image de la fédération européenne des fabricants de plastique Plastic Europe.
Encore de la prudence sur les pesticides néonicotonoïdes
La Commission est un peu moins pro-active concernant les pesticides néonicotinoïdes. La France porte la voix de son Agence nationale de sécurité sanitaire des aliments, de l'environnement et du travail. L'Anses recommande d'élargir l'interdiction des substances néonicotinoïdes pour l'enrobage des semences hivernales. Mais le commissaire européen à la Santé se veut prudent. "L'interdiction des trois substances (1) décidée en 2013 n'a pas de limite dans le temps, a-t-il rappelé. L'Agence européenne (Efsa) a débuté ses réévaluations. Si de nouveaux dangers apparaissent, l'extension de l'interdiction à de nouvelles substances sera débattue avec les Etats membres".
Glyphosate : la Commission va interdire les co-formulants
En matière de glyphosate, le commissaire européen a pris connaissance de l'avis de l'Anses et des doutes sur l'innocuité sanitaire des autres substances présentes dans les produits à base de glyphosate (co-formulants). Il a assuré que la Commission allait rapidement se pencher sur celles-ci. Elle doit établir une liste de co-formulants interdits au regard de leurs caractéristiques de danger. "Deux réunions avec les Etats membres sont prévus la semaine prochaine sur ce sujet", détaille Vytenis Andriukaitis. La famille des tallowamines pourrait être la première visée.
En France, l'Anses est en train de réexaminer l'ensemble des préparations de glyphosate contenant ces substances. Elle pourrait retirer les autorisations de mise sur le marché des préparations phytopharmaceutiques concernées dès la fin du mois de mars.
Besoin de revoir les procédures d'évaluation des substances
Le cas du glyphosate a une nouvelle fois mis en avant la complexité de l'évaluation des risques des substances mises sur le marché. En Europe, la législation fait porter la responsabilité des études sur les industriels : c'est à eux de prouver l'innocuité de leurs substances et non pas aux pouvoirs publics de prouver leur dangerosité. On constate toutefois des polémiques récurrentes avec, au cœur du problème, la véracité des études réalisées par l'industrie. Le commissaire à la Santé ne semble pas prêt à lancer des réflexions sur une modification des procédures d'évaluation des risques. Mais en comparant les dispositifs existant outre-atlantique il s'interroge : "Pourquoi les études industrielles sont fermées au public en Europe alors qu'aux Etats-Unis elles sont plus transparentes".
Les Etats-Unis pourraient en effet inspirer l'UE notamment sur le financement de la recherche publique. La ministre française et le commissaire européen ont évoqué l'idée de mettre un fonds à disposition des agences européennes pour réaliser en commun une analyse complète et sérieuse des risques pour les substances polémiques. Ce principe de fonds disponible existe aux Etats-Unis depuis plusieurs années : le National toxicological program. "Il est important de conserver la confiance du public dans la science. Il est donc nécessaire d'approfondir la qualité des évaluations", justifie Vytenis Andriukaitis.