La colère des agriculteurs va-t-elle entraîner une pause dans la transition agroécologique ? C'est ce que demandent notamment les syndicats agricoles FNSEA et Jeunes agriculteurs. Refus d'Ecophyto, du Plan eau, du zonage « Zones humides », des ratios jachères et prairies ou encore la mise sous tutelle de l'Office de la biodiversité (OFB) et de l'Anses font partie de la liste de revendications présentées par les deux syndicats mercredi.
Pourtant, ce remède pourrait être pire que le mal, analysent d'autres acteurs, puisque l'agriculture est, elle aussi, confrontée aux défis du XXIe siècle : l'effondrement de la biodiversité et le changement climatique. Comme souvent, deux visions diamétralement opposées s'affrontent sur le modèle agricole à défendre.
Les revenus agricoles au cœur du problème
Car si les raisons de la colère sont multiples, tous concèdent que le revenu des agriculteurs est au cœur du problème. Pourtant, les gouvernements successifs ont tous tenté d'améliorer la situation. Trois lois Egalim, adoptées en 2017, 2021 et 2023, avaient pour but de rééquilibrer les négociations commerciales avec les industriels et les distributeurs et d'améliorer la rémunération des agriculteurs. Malgré tout, les négociations actuellement menées, dans un contexte de baisse du pouvoir d'achat, ne sont toujours pas favorables aux producteurs.
À cela s'ajoutent des retards de paiement dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle Politique agricole commune (PAC), la hausse progressive de la taxation sur le gazole non routier (GNR) depuis le 1er janvier, une succession de crises sanitaires et climatiques (grippe aviaire, inondations, sécheresse…) qui ont fini d'exacerber la colère des agriculteurs et conduit à cette mobilisation exceptionnelle, qui ne cesse de prendre de l'ampleur.
« Une juste rémunération est indispensable pour valoriser le travail des agriculteurs et leur donner des perspectives et de la lisibilité sur l'avenir. Cette problématique de longue date doit trouver sa réponse dans l'application pleine et entière des lois Egalim et de leur état d'esprit par la construction du prix en marche avant. (…) Il est urgent de faire appliquer la loi », expliquent la FNSEA et les JA. La Confédération paysanne, qui a appelé ses membres à rejoindre la mobilisation hier, demande « d'urgence une loi interdisant tout prix agricole en-dessous de nos prix de revient et la fin immédiate des négociations d'accord de libre-échange ». Des accords dénoncés également par les deux syndicats majoritaires.
Retrait de normes environnementales et pause normative
La représentativité syndicale en question
La Confédération paysanne et la Coordination rurale demandent une meilleure représentation de la diversité syndicale, quand souvent est évoquée la coconstruction de la politique agricole entre le Gouvernement d'un côté et la FNSEA avec les JA de l'autre…
« Aujourd'hui, 95 % des chambres d'agriculture sont dirigées par le syndicat agricole dit "majoritaire", la FNSEA, qui pourtant n'a obtenu que 55 % des voix aux dernières élections, et ce, en comptabilisant les votes pour le syndicat allié, les JA », indique la Coordination rurale. Cette dernière s'inquiète d'un projet de décret sur le financement des syndicats qui modifierait les clés de répartition et fragiliserait encore plus les « petits » syndicats.
Dans le désordre, la FNSEA et les JA demandent le rejet d'Ecophyto (dont le projet est actuellement en consultation) et un moratoire sur les interdictions de phytosanitaires ; l'accélération des projets de stockage d'eau ; le retrait de l'arrêté plan eau de juin 2021 ; la mise en œuvre d'un dispositif plus adapté de la gestion des sécheresses et la sécurisation des prélèvements d'eau. Ils refusent le zonage « Zones humides », rejettent en bloc les zones de non traitement (ZNT), demandent des dérogations sur les 4 % de jachères, de revenir sur le ratio Prairie et un statu quo sur la directive sur les émissions industrielles (IED) pour la volaille et le porc. Enfin, ils veulent une pause normative, une sécurisation de tous les projets en limitant les recours et leurs durées d'instruction, une non-régression du droit de l'environnement et la mise sous tutelle de l'OFB et de l'Anses.
Un remède pire que le mal ?
À l'opposé, la Confédération paysanne estime que « les gouvernements successifs et la FNSEA ont mené conjointement l'agriculture dans l'impasse actuelle ». Selon elle, « la demande de la majorité des agriculteurs et agricultrices qui manifestent est bien celle de vivre dignement de leur métier, pas de nier les enjeux de santé et de climat ou de rogner encore davantage sur nos maigres droits sociaux ». Le syndicat demande l'instauration de prix garantis sur les produits agricoles, la mise en place de prix minimaux d'entrée sur le territoire national, un accompagnement économique à la transition agroécologique « à la hauteur des enjeux », la priorité à l'installation face à l'agrandissement ou encore l'arrêt de l'artificialisation des terres agricoles.
Même analyse du côté des associations de défense de l'environnement. « Le non-respect de la loi Egalim dans les négociations commerciales avec les industriels et la grande distribution, l'industrialisation de certaines filières et leur exposition aux marchés internationaux volatils, ou encore la concurrence faussée avec des importations ne répondant pas aux mêmes normes, faute de mesures miroirs, participent à cette fragilisation [de l'agriculture] », estime le RAC France. « La transition agroécologique est une part de la solution et non le problème », poursuit l'association, qui demande au Gouvernement de fixer un cap clair et d'accompagner « massivement » les agriculteurs dans un changement de pratiques.
« Il ne faut pas se tromper de combat ni chercher à instrumentaliser la colère et le désarroi qui s'expriment : une agriculture économe en pesticides et en eau est la condition indispensable de sa durabilité, de sa compétitivité et même de sa survie. (…) Il faut au contraire que l'écologie, par des mesures claires, accompagnées et financées devienne le moteur d'une nouvelle prospérité paysanne », estime de son côté Jean Burkhard, directeur du plaidoyer de WWF France.