Selon la Cour des comptes, le modèle économique des stations françaises de ski ne déclinera que davantage avec les conséquences du réchauffement climatique. Publié le 6 février, son rapport (1) s'appuie sur l'observation de quarante-deux stations dans les Alpes, les Pyrénées, le Massif central et le Jura et sur une base de données couvrant 200 stations. Et son constat est clairement celui d'une mort annoncée, si le « business-as-usual » demeure roi.
D'autant que l'économie touristique du ski n'a rien d'anodine. Avec ses 53,9 millions de skieurs chaque année (en majorité des nationaux), la France est le deuxième pays en la matière. Et l'activité représente 22,4 % des nuitées touristiques en montagne, d'après les chiffres des Sages du palais Cambon. Les remontées mécaniques, qui garantissent le fonctionnement et la rentabilité des stations, dégagent chaque année 1,6 milliard d'euros (dont près des trois quarts proviennent de la Savoie et de la Haute-Savoie). Cependant, cette viabilité économique est mise à rude épreuve depuis la fin des années 2000 (et leurs 59 millions de skieurs chaque année), par un système économique en perdition et inadapté au réchauffement climatique.
Une vulnérabilité manifeste
« Toutes les stations seront plus ou moins touchées (par le réchauffement climatique) à l'horizon 2050, rappelle la Cour des comptes. Quelques stations pourraient espérer poursuivre une exploitation au-delà de cette échéance, mais celles situées au sud du massif des Alpes seront en revanche plus rapidement touchées que les autres. » Si l'augmentation moyenne de la température en France depuis 1900 est estimée à 1,7 °C, elle est dans les Alpes de 1,97 °C. Par conséquent, les périodes d'enneigement ne cessent de se réduire d'année en année, en particulier à faible altitude (en dessous de 2 000 mètres). Et « les projections à l'horizon 2050 indiquent une réduction de la durée d'enneigement de plusieurs semaines ; l'épaisseur moyenne hivernale du manteau neigeux serait ainsi réduite, selon les lieux, de 10 à 40 % en moyenne montagne », évoque la Cour en citant l'analyse de Météo-France.
Cette perte de neige naturelle, l'or blanc du secteur, tend à être compensée par la production de neige artificielle. « Aujourd'hui, 39 % du domaine skiable français sont couverts par de la neige produite (contre 19 % en 2007) », indique le rapport (nuançant par le fait que ce chiffre reste en-deçà des situations dans les autres grands pays de ski). De fait, les collectivités locales, chargées de la gouvernance des remontées mécaniques et des stations, soutiennent activement cette stratégie. La Région Auvergne-Rhône-Alpes a, par exemple fléché plus de la moitié de ses aides vers la production de neige artificielle pour la période 2016 à 2021. Néanmoins, soulignent les Sages, « la multiplication de (tels) équipements augmente la vulnérabilité de ces stations, au lieu de la réduire : elle accroît leur dépendance aux ressources locales en eau, et fragilise les territoires en aval. Elle aboutit de ce fait à une maladaptation au changement climatique. »
Par ailleurs, le réchauffement climatique provoque la fonte du pergélisol, ce « ciment » naturel qui maintient notamment les glaciers dans la montagne et sur lequel plusieurs stations ont été construites. D'après un rapport délivré en décembre 2022 par les inspections générales de l'administration (IGA), de l'environnement et du développement durable (Igedd) et de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR), « 974 infrastructures sont présentes sur des terrains à pergélisol, dont 74 % sont des remontées mécaniques ». Or, malgré des travaux engagés par l'État ces deux dernières années, « il n'existe pas de cartographie spécifique des risques naturels pesant sur les installations de remontées mécaniques ». Les Sages de la rue Cambon recommandent d'y remédier par la création d'un « Observatoire national sur la vulnérabilité climatique des collectivités de montagne ».
S'adapter ou périr ?
Ce dernier point est révélateur d'un manque plus grand, selon la Cour des comptes. « Sur la totalité des mesures présentées dans le deuxième Plan national d'adaptation au changement climatique (au nombre de 470), neuf traitent directement ou indirectement de la question de l'adaptation du tourisme de montagne au changement climatique, mais huit de ces mesures ne revêtent pas un caractère opérationnel avéré et se présentent souvent comme des actions majoritairement incitatives. » Et encore aucun « plan d'adaptation de massif », introduit par la loi Climat de 2021, n'a été mis en œuvre. Pour les Sages du palais Cambon, seule une planification écologique de l'État serait à même « d'impulser une réelle dynamique de changement ». De quoi permettre au secteur de changer de direction, sous peine de finir enseveli sous l'avalanche.
Jusqu'à présent, l'économie des stations de ski se maintient grâce à une illusion. Le modèle actuel considère encore qu'un euro dépensé par un usager dans une remontée mécanique impulse six euros dans l'économie touristique locale. Pourtant, comme le souligne la Cour des comptes, non seulement ce ratio n'est plus aussi avantageux qu'il pouvait l'être auparavant (une étude le situe davantage autour de 3,50 à 5 euros par euro dépensé initialement), mais le secteur pourrait difficilement survivre sans les subventions publiques locales. Ces dernières représentent entre 23 et 28 % du chiffre d'affaires de nombreuses petites stations (dont les recettes annuelles totales cumulent moins de 15 millions d'euros).
« À défaut de repenser fondamentalement le modèle économique, le niveau de subventionnement public ne pourra que s'alourdir compte tenu des projections climatiques en enfermant les collectivités dans un sentier de dépendance au ski », estime la Cour des comptes. Cette lente déliquescence, alimentée par le réchauffement climatique dans une sorte de cercle vicieux, a ses témoins : des centaines d'installations inutilisées et non démontées (seules celles postérieures à la loi de décembre 2016 sur la modernisation de la montagne sont obligatoirement démantelées) et un nombre grandissant de logements délaissés, dont la rénovation énergétique se fait attendre. La Cour des comptes suggère, en ce sens, de conditionner les subventions à des actions d'adaptation au changement climatique, notamment par le biais d'un fonds pour financer la déconstruction des friches et la diversification des activités.
Pour le réseau d'associations Green Cross, dont le propre rapport (2) partage les conclusions de la Cour des comptes, le secteur et les collectivités qui reposent sur lui doivent se diversifier sans attendre et ainsi sortir de leur dépendance touristique aux sports et loisirs d'hiver. En se repositionnant par exemple sur les activités estivales de randonnée, moins profitable, mais également moins onéreuse. « Passer du tout-ski à la multiactivité est une opportunité porteuse de développement humain local mais qui conduit à accepter un avenir moins lucratif, à sortir du hors-sol et des stratégies intégrées pour remettre le territoire au cœur du développement touristique. »