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La sécurité nucléaire face à de nouveaux risques

Industries : le risque terroriste exacerbe l'enjeu de sûreté Actu-Environnement.com - Publié le 26/09/2016

A mi chemin entre les questions habituelles de sûreté et les fonctions régaliennes, la sécurité nucléaire doit faire face à de nouveaux risques. Elle est en effervescence, mais les particularités du modèle français devraient être maintenues.

Industries : le risque terroriste...  |    |  Chapitre 4 / 5
Environnement & Technique N°361 Ce dossier a été publié dans la revue Environnement & Technique n°361
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Le détail des procédures de sécurité nucléaire est un secret bien gardé. "Quoi qu'on dise, on est critiqué : si on donne des détails, on est accusé de faire le jeu des personnes mal intentionnées, et si on reste vague, on est accusé de ne pas anticiper", justifie un acteur. Dans ce contexte, l'équilibre entre le respect du secret et la nécessité d'informer est délicat à trouver.

Une des particularités du dispositif français est la séparation entre la sûreté et la sécurité : la première relève de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et la seconde du Haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de l'Environnement. Dans la plupart des pays, les deux sujets sont traités par une seule entité, car les deux domaines sont connexes : l'impact d'un accident et les mesures à mettre en œuvre sont souvent identiques, que l'origine soit liée à la sûreté (séisme, inondation, par exemple) ou à la sécurité (acte de malveillance). Preuve de cette proximité, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) est l'appui technique des deux entités.

Défense en profondeur

Comme pour les sites industriels, la sécurité nucléaire vise principalement à retarder l'action d'une personne malveillante jusqu'à ce que les forces publiques puissent intervenir. Pour y parvenir, "on s'appuie sur la redondance, sur des dispositifs articulés comme des poupées russes", explique Isabelle Jouette, porte-parole de la Société française d'énergie nucléaire (Sfen), précisant que "plus on approche des points névralgiques, plus la sécurité des barrières est élevée". Comme pour la sûreté, le concept central est la défense en profondeur des installations grâce à la multiplication des lignes de défense indépendantes les unes des autres. Ces lignes sont dimensionnées en fonction du temps d'intervention des forces de l'ordre.

Concrètement, la sécurité repose à la fois sur l'exploitant et sur les pouvoirs publics. Le rôle des exploitants est d'assurer la détection autour et sur les sites. Ils ont en charge la gestion des caméras, du contrôle de présence le long des enceintes, ou encore du contrôle à l'entrée des sites. Ces tâches sont supervisées par le HFDS qui audite et contrôle les installations. Quant aux pouvoirs publics, ils sont chargés de la protection du site qui relève des fonctions régaliennes de l'Etat. Ce sont eux qui interviennent directement dans le périmètre des centrales nucléaires, notamment grâce à la présence d'un peloton de gendarmerie sur chacune d'elle depuis 2009. De même, les services de renseignement de la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) interviennent régulièrement sur site, notamment pour faire de la prévention. Les pouvoirs publics sont aussi chargés d'instruire les dossiers en amont des recrutements : les opérateurs des installations nucléaires doivent obtenir le feu vert des préfectures pour pouvoir embaucher une personne, l'acte de malveillance pouvant être réalisé sans effraction.

Se préparer au chaos

Mais les survols des centrales françaises par des drones ont mis en lumière de nouveaux risques, parfois éloignés des thèmes classiques de la sécurité nucléaire. A l'occasion d'une audition parlementaire sur le sujet, les participants ont défendu qu'actuellement ces survols relèvent du harcèlement, plutôt que d'un risque direct pour les installations. Patrick Lagadec, analyste spécialiste du risque, a synthétisé cette nouveauté : il faut aujourd'hui élargir l'analyse aux cibles qui peuvent entraîner le chaos, qui sapent la confiance et atteignent la crédibilité des institutions. Ainsi, pour certains spécialistes, il est difficile de créer un accident nucléaire avec des drones, mais il est tout à fait envisageable d'en employer pour empêcher une centrale de produire et déstabiliser le système électrique français. "Que ferai-je pour surprendre ?" doit devenir une question centrale pour dépasser la famille de risques classiques gérés par des solutions techniques ou des schémas organisationnels maîtrisés. Comme pour la sûreté, il faut se préparer à l'imprévisible.

Les problèmes rencontrés en août 2014 par le réacteur 4 de la centrale de Doel illustrent cette nouvelle catégorie de risques. Le réacteur belge a dû être arrêté pendant six mois suite à l'endommagement de la turbine causé par un acte de malveillance. Une vanne a été délibérément ouverte manuellement, entrainant la vidange complète des 65 m3 d'huile du réservoir de la turbine. Ce sabotage n'a pas entraîné de risque nucléaire, mais la crédibilité de la filiale d'Engie qui gère la centrale et des autorités a été entamée. L'exploitant, Electrabel, a porté plainte, en vain pour l'instant. Suite à cet événement, les mesures de sécurité ont dû être renforcées : interdiction d'intervenir seul dans certaines zones, installation de nouvelles caméras, ou encore modification du système de badges d'accès.

Fusionner ou mieux coordonner sûreté et sécurité ?

Ces nouveaux enjeux ont mis en lumière les particularités du dispositif français et relancé la question du rapprochement de la sûreté (gérée par l'ASN) et de la sécurité (gérée par le HFDS). "Il ne peut y avoir de dissociation des deux sujets, ni de façon opérationnelle, ni dans les prescriptions que nous édictons les uns et les autres", constatait le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité en 2014 devant les parlementaires. Pierre-Franck Chevet, président de l'ASN, confirme que 95% de ses homologues gèrent les deux sujets. Par ailleurs, du côté des opérateurs, la création d'un interlocuteur unique simplifierait les relations administratives et l'application des deux règlementations. Mais pour l'instant, il n'est question que de renforcer la coordination entre l'ASN et les services du HFDS, ni l'un ni l'autre ne plaidant pour une fusion. L'ASN et le Haut fonctionnaire se réunissent régulièrement et adressent aux exploitants des prescriptions communes, mais ne plaident pas pour que leurs activités (ou une partie d'entre elles) soient intégrées dans un organisme unique.

Quels arguments s'opposent à la fusion de l'ASN et des services en charge de la sécurité ? Tout d'abord, les enjeux sont légèrement différents. La sûreté traite ce qui dépend de l'exploitation quotidienne des installations nucléaires, alors que la sécurité est liée aux fonctions régaliennes de l'Etat. Exprimée de façon plus explicite, le législateur a estimé qu'il n'est pas possible de confier des missions qui par nature relèvent de l'Etat à une autorité indépendante du Gouvernement. Mais surtout "l'idée d'un grand organisme indépendant chargé de tous les aspects de sécurité ne marche pas", explique le président de l'ASN. Ici, le terme important est "indépendant". En effet, l'ASN jouit d'une indépendance qui serait partiellement remise en cause ne serait-ce que parce qu'elle devrait avoir des rapports beaucoup plus étroits avec l'exécutif. De même, l'Autorité devrait probablement revoir sa politique en matière de transparence. Rares sont ceux qui plaident ouvertement pour de telles restrictions.

Philippe Collet

© Tous droits réservés Actu-Environnement
Reproduction interdite sauf accord de l'Éditeur.

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