Le gouvernement a annoncé le 9 juillet dernier le déploiement du compteur communiquant Linky, qui devrait offrir la possibilité à de nombreux acteurs de proposer des services de gestion de l'énergie associés, notamment les fournisseurs d'accès à internet déjà présent chez de nombreux clients via leurs boxes.
Linky apparaît comme la première pierre du déploiement des smart grids. Il permet d'observer le réseau électrique en temps réel dans le but de mieux adapter la production et la consommation d'énergie. Pour les utilisateurs, Linky devrait permettre de payer exactement ce qu'ils consomment tout en étant plus rapidement dépannés et à distance. Mais ce compteur dit "intelligent", mesurant de manière très précise la consommation d'électricité, ne permet pas de restituer les informations aux consommateurs, une des lacunes pointées du doigt par de nombreux acteurs.
Toutefois, l'installation de Linky devrait permettre de développer de multiples fonctions permettant aux particuliers d'intervenir sur leur système électrique. Les compteurs Linky permettent déjà d'équiper les appareils électriques de la maison d'émetteurs radio capables de recevoir des signaux du compteur communiquant et de transmettre des informations aux gestionnaires d'énergie. Cet energy metering, qui se traduit par un contrôle continuel de sa consommation énergétique et un pilotage de ses appareils, notamment à distance, fait partie des services qui peuvent être proposés par les fournisseurs d'accès à internet (FAI) notamment à travers leurs boxes. Ces dernières, contrairement aux compteurs d'ERDF, ne sont pas encore capables de compter, télérelever les consommations d'électricité et les cartographier très précisément et ce n'est d'ailleurs pas leur vocation. Mais elles sont capables de recevoir ces données et de les utiliser.
Des possibilités technologiques déjà existantes
Les différents boxes proposées par les FAI sont aujourd'hui capables d'intégrer des services de gestion de l'énergie. Alors que l'offre complète "Home security premium" de SFR propose des services assimilables à l'energy metering avec des prises connectées, Bouygues a présenté, à l'occasion du salon Smart Grid 2013, le prototype d'un nouveau service “quintuple play". Développé en partenariat avec Ijenko, une plateforme de gestion énergétique et domotique et IS2T, une jeune entreprise innovante dans le domaine du logiciel embarqué, ce service, qui n'est pas encore au stade de la commercialisation, devrait permettre entre autre de mesurer la consommation électrique, piloter les appareils à distance, contrôler la température de son foyer…
De son côté, Orange a développé en 2012 sa prise intelligente,"My Plug", qui connaît un vif succès. Elle offre également la possibilité aux utilisateurs de consulter l'état de leurs appareils électriques et d'intervenir à distance. Pour cela, un message doit être envoyé à la prise qui est équipée d'une carte SIM et qui possède son propre numéro de téléphone.
Des offres qui restent bien timides
Actuellement en mouvance en France et en Belgique, le secteur du smart home passera de 1 million d'utilisateurs dans le monde en 2011 à 63 millions en 2020, selon les prévisions de l'institut Pike Research. En France, le marché représenterait plus de 25 millions de foyers, un potentiel non négligeable pour les FAI qui laissait entrevoir un déploiement important. Pourtant, Jean-Philippe Tridant Bel, directeur de l'activité Energie-Développement Durable et Romain Petit, consultant, chez Alcimed, une société de conseil et d'aide à la décision en marketing stratégique, constatent "une timidité des offres" proposées par les FAI dans les services énergétiques. "Les services associés à l'énergie pour les particuliers sont encore peu nombreux" et les FAI préfèrent se tourner vers le domaine de la domotique et de la sécurité sous forme de packages voire de proposer d'autres services liés au "confort de vie" comme la conciergerie ou la garde d'enfant. La société de conseil note une exception : celle de Bouygues qui a débuté sa collaboration avec Ijenko dès 2011. Interrogée par Actu-Environnement, Sandra Slim, chargée de projet Habitat connecté chez Bouygues, nous confirme que l'entreprise avait orienté sa stratégie vers le smart metering mais qu'aujourd'hui elle s'est engagée dans une phase de réflexion. Une nouvelle orientation devrait être prise avec un étoffement des services de pure gestion de l'énergie vers la sécurité et le confort via la domotique. Ces deux axes sont déjà le socle de la stratégie de SFR qui souhaite désormais aller plus loin, notamment concernant le chauffage et proposer un suivi énergétique plus complet. Une nouvelle offre devrait bientôt voir le jour…
Un marché non mature
Ce manque d'offre s'explique par un faible engouement des particuliers pour les services de metering alors que les produits existent et sont fonctionnels. D'après la société Alcimed, "le gain en énergie n'est pas assez tangible au vu du prix des investissements", les utilisateurs n'auraient donc pas assez de visibilité. De plus, pour que le système soit efficace, "tous les équipements doivent rester en veille" précise Jean-Philippe Tridant Bel,ce qui peut relativiser dans un premier temps l'impact de ces systèmes sur les consommations énergétiques. Même analyse chez Bouygues, Sandra Slim précise que la gestion de l'énergie n'intéresse encore qu'un certain type de clients sensibles à cette problématique mais ne touche pas encore le grand public. Même si avec le prix de l'énergie qui ne cesse d'augmenter, les consommateurs commencent à avoir un regard plus avisé. "Les gens sont-ils réellement prêt à payer des services supplémentaires dans le domaine de l'énergie?", s'interroge Marc Westerman, directeur de Home By SFR.
En attendant, les FAI doivent adapter leur business plan en mutualisant les services afin de coller au mieux aux attentes de leurs clients. Selon Marc Westerman, SRF construit sa stratégie autour de prix bas et de la simplicité des services proposés pour une démocratisation de masse.
Un jeu d'acteur en construction
En proposant des packages tout en un (téléphonie, internet, smart grid), les FAI sont en passe de devenir des acteurs d'importance de la maison du futur, ultra connectée et très économe en énergie. Leur développement pourrait avoir des conséquences sur les fournisseurs d'énergie qui ne seront plus les seuls dans le secteur et devront redoubler de compétitivité. EDF a d'ailleurs lancé, en 2011, sa première offre commerciale liée à Linky, via sa filiale Edelia, à Lyon et dans la région de Tours. L'entreprise offre ainsi la possibilité à ses clients "d'assurer un pilotage à distance de certains équipements électriques (tel que le chauffage électrique) et (…) le suivi par internet des consommations journalières de leur logement".
Ainsi pendant que l'une de ses filiales compte (ERDF), une autre (EDELIA) propose un service payant pour valoriser ces données. Pourtant, lors de l'expérimentation du compteur Linky, la question de l'accès aux données par les consommateurs a été soulevée. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a d'ailleurs préconisé qu'ERDF permette aux consommateurs, ou aux tiers autorisés par les consommateurs, l'accès gratuit aux données de consommation. Reste à savoir quelles informations pourront ou non être mises à disposition gratuitement. L'appel d'offre que prévoit de lancer ERDF en septembre pour la généralisation de Linky devrait répondre à cette question.
Brisac Morgan