Les conclusions d'une étude américaine, publiée en mai dernier, démontraient que les petits barrages pouvaient être bien plus préjudiciables en terme de destruction des habitats et de dégradation écologique que les grands ouvrages hydroélectriques. Cette étude, réalisée en Chine, s'est appuyée sur 14 critères dont l'étendue et la nature de la destruction d'habitat, la longueur de la voie fluviale détériorée, la surface de zones protégées affectées et les risques de glissement de terrain. Les effets sur 31 petits barrages localisés sur les affluents de la Salouen en Chine ont été analysés et comparés à l'impact estimé de quatre grands barrages qui doivent être construits sur le bras de la même rivière. Après évaluation des données de terrain, des modèles hydrologiques et de l'évaluation de l'impact environnemental des petits barrages, il semblerait que sur 9 des 14 critères étudiés, les petits barrages sont plus pénalisants que les grands.
Ces conclusions sont liées à un contexte institutionnel bien particulier : en Chine, les petits barrages sont gérés par les administrations locales, qui sont souvent défaillantes alors que les grands barrages sont gérés au niveau national et font l'objet d'attentions politiques importantes, d'où une meilleure gestion. Une multiplication des petits barrages, dont les effets se cumulent, couplé à un manque de communication et de cohérence dans les politiques de gestion sont aussi soulignés par l'étude.
Vers une cartographie nationale des ouvrages en France
En France, la situation n'est pas la même mais la problématique des petits ouvrages se pose également. L'une des difficultés de cette problématique est un manque de connaissance concernant le réseau hydraulique français qui compte aujourd'hui environ 60.000 ouvrages dont "plus de la moitié n'ont pas d'usage avéré", souligne l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (Onema). Pour pallier ce manque, l'Onema développe, depuis 2010, deux nouvelles banques de données : la première pour recenser l'ensemble des ouvrages, quelque soit leur taille ou leur fonction - le registre des obstacles à l'écoulement (ROE) -, la seconde pour évaluer leurs impacts sur la continuité écologique et les déplacements des poissons, particulièrement lors de la montaison. Ces banques de données, à caractère évolutif, ont été construites grâce à un travail d'inventaire et de recensement d'anciens documents existants. Elles s'appuient sur des visites de terrain antérieures ou réalisées par l'Onema dans le but de vérifier certaines données. Elles permettront d'offrir une image nationale de la difficulté de migration des poissons tout en donnant une idée du taux d'étagement des cours d'eau. Interrogé par Actu-Environnement, l'Onema précise que ces outils n'ont pas vocation à déclencher des séries de mesures visant à supprimer les ouvrages jugés problématiques. D'ailleurs l'organisme rappelle que l'effacement restent encore une solution très limitée même si cette solution est "souvent la plus efficace pour rétablir la continuité écologique des cours d'eau".
Petite hydroéléctricité : des impacts identifiés
En attendant de mieux connaître le parc français global et d'en limiter les effets, les actions se concentrent sur les petites centrales hydroélectriques qui se distinguent des petits ouvrages. Leur nombre s'échelonne entre 1.700 et 2.000 (ce chiffre varie en fonction des limites de puissances définies) pour une puissance totale d'environ 2.000 MW. Leur production annuelle de 7,5 TWh représente environ 10% de la production hydroélectrique française, soit entre 1 et 2% de la production totale d'électricité, ce qui place le pays en 3ème position européenne derrière l'Italie et l'Allemagne. L'exploitation de ces installations est encadrée par des actes administratifs, elles font l'objet d'un suivi et sont donc mieux connues, notamment en terme d'impact sur les cours d'eau et la faune piscicole.
Le ralentissement de l'écoulement en amont de ces centrales est, selon Philippe Baran, ingénieur au pôle écohydraulique de l'Onema, la modification la plus importante puisqu'elle transforme les habitats et les espèces qui s'y développent ne sont plus celles d'origine. A cela s'ajoutent les problèmes de franchissement des obstacles que représentent ces centrales pour les poissons. Même si les barrages des petites centrales électriques ne bloquent que partiellement la circulation des poissons dans le sens de la remontée comme de la descente, "il faut bien réfléchir en terme de cumul d'impacts c'est-à-dire de l'effet de la succession de 5-10 ou même 30 centrales hydroélectriques sur un même axe de rivière", souligne Philippe Baran. Les débits, parfois très réduits, peuvent également entrainer une réduction du nombre de poissons par une augmentation de la température ou un réduction de l'espace disponible. Sur le plan de la sédimentation, les petites centrales, via les prises d'eau, peuvent dégrader le substrat des rivières en soulevant beaucoup de surface et causer la destruction des frayères.
Depuis quelques années, ces impacts sont pris en compte à la fois par les exploitants de ces petites installations et par le gouvernement, qui impose un cadre d'exploitation de plus en plus exigeant.
Des contraintes règlementaires qui se multiplient …
La petite hydroélectricité, qui est définie par des installations de puissances inférieures à 10 MW, est encadrée par différents outils règlementaires, notamment la loi sur l'eau (LEMA) de 2006 qui transpose la Directive cadre sur l'eau, adoptée en 2000. Après la révision du classement des cours d'eau, qui vient de se terminer, cette loi imposera très bientôt une nouvelle échéance puisque dès 2014, les débits réservés devront représenter 10% minimum du débit moyen inter-annuel, ce qui équivaut, selon les cas, à une multiplication par 2 ou par 4 du débit actuellement laissé dans la rivière à l'aval de ces ouvrages.
En aout 2012, les contrats d'obligation d'achat de l'électricité produite par les petites centrales hydroélectriques ont du être renouvelés car bon nombre d'entre eux prenaient fin en octobre 2012. Le tarif d'achat était une préoccupation importante pour l'ensemble du secteur qui a "fait pression sur l'Etat". En retour, "le gouvernement a pu imposer une condition : la bonne tenue des petites centrales hydrauliques", analyse Jacques Pulou, Pilote régional du réseau eau de la Frapna (Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature) de Haute-Savoie en charge du dossier des microcentrales. La réglementation oblige les petites centrales à réaliser de nouveaux investissements pour pouvoir bénéficier des tarifs d'achat.
Selon l'un des principaux syndicats de la petite hydroélectricité, France Hydro Electricité (FHE), ce sont environ 700 centrales qui sont aujourd'hui en rénovation soit une puissance de 290 MW. Ces investissements, d'un montant qui avoisinerait les 350 millions d'euros, se sont traduits "majoritairement par des travaux [portant] sur les améliorations de type environnemental : créer des dispositifs de montaison ou dévalaison ou améliorer l'existant", explique Anne Pénalba, présidente du syndicat.
Alors que la convention d'engagement volontaire signée en 2010 prévoyait une augmentation de la production hydroélectrique de 3 TWh de 2010 à 2020, chiffre également retenu dans la programmation pluri annuelle des investissements (PPI) en cours depuis 2009, France Hydro Electricité déplore une règlementation toujours plus exigeante : "Nous sommes loin de cette trajectoire en raison de nombreux obstacles règlementaires et administratifs" déclarait la présidente du syndicat. Cette règlementation accrue serait à l'origine de pertes de production qui s'échelonneraient entre 2 et 4 TWh selon FHE et qui seraient "en particulier [liées] au relèvement du débit réservés".
… mais qui restent insuffisantes ?
Certains regrettent que, via l'arrêté fixant un nouveau cadre pour les contrats d'obligations d'achat, le gouvernement ne soit pas allé plus loin en terme de protection de l'environnement et de la biodiversité. Le seul type d'investissement dans le domaine de l'environnement prévu par le texte sont les échelles à poissons, une prescription "dérisoire" pour le membre de la Frapna. "La seule installation des échelles ne suffit pas : elles doivent être maintenues en bon état, les frais de fonctionnement sont importants tout comme les frais de personnel [et ces installations] ne sont pas toujours bien conçues" ajoute Mr Pulou. De plus, "la circulation piscicole n'est pas seulement liée à l'écoulement" rappelle la fédération qui aurait souhaité que l'Etat impose d'avantage d'investissements environnementaux en échange des obligations d'achat mais aussi que ces investissements deviennent des obligations et non pas des possibilités parmi une liste de travaux.
Ainsi beaucoup reste à faire pour limiter les impacts environnementaux des petits ouvrages notamment en terme de gouvernance locale. Pour les grands ouvrages hydroélectriques, les enjeux sont tout autres et la question de la maîtrise de leur impacts environnementaux ne se règlera pas avec des échelles à poissons …
Brisac Morgan