Une très large gamme de produits amiantés ont été mis sur le marché au cours des dernières décennies, mais sa présence n'était pas mise en évidence de façon claire et identifiable (étiquetage obligatoire) dans les produits au stade de leur distribution.
Soulignant que la France n'est pas le seul pays touché par cette catastrophe sanitaire, le rapport de la mission du Sénat sur l'amiante estime que les carences du système de santé au travail et de prévention des risques professionnels français, l'absence à l'époque de tout système de veille et d'alerte et l'existence d'un lobby industriel de l'amiante ont contribué à une prise de conscience tardive de ce drame.
Ce rapport, rendu public mercredi, s' est attaché à évaluer la progression du drame sanitaire annoncé, qui est loin aujourd'hui d'avoir atteint son pic, à mesurer l'efficacité et le coût des dispositifs d'indemnisation et d'une manière générale, à essayer de comprendre comment une telle tragédie a pu se développer. Afin d'établir le bilan et les conséquences de la contamination par l'amiante, la mission d'information commune du Sénat a procédé à 70 auditions et a effectué quatre déplacements ciblés à Dunkerque, à Cherbourg, à Jussieu et en Haute-Corse.
La mission accuse l'Etat d'une gestion défaillante du problème de l'amiante. Pour la mission, les pouvoirs publics sont responsables de l'absence de système de veille et d'alerte , de l'inadaptation et du manque de moyens de la médecine et de l'inspection du travail.
Le rapport rappelle que la responsabilité de l'Etat a été affirmée en 2004 par le Conseil d'Etat pour défaut de réglementation spécifique avant 1977, et pour le caractère tardif et insuffisant de la réglementation après cette date.
Mais si le Sénat réserve des critiques à l'état, elle en formule aussi aux industriels.
Elle observe que la responsabilité civile des employeurs pour faute inexcusable est désormais systématiquement reconnue par les tribunaux. Quant à la responsabilité pénale des employeurs, de nombreuses procédures sont actuellement pendantes devant les tribunaux et pourraient aboutir à des condamnations. Elle estime que les industriels sont engagés dans une véritable entreprise de lobbying.
La mission critique en particulier le Comité Permanent Amiante (CPA). Composé d'industriels, de scientifiques, de partenaires sociaux et de représentants de ministères, ce comité apparaît (...) comme un modèle de lobbying, de communication et de manipulation. Il a joué un rôle non négligeable dans le retard de l'interdiction de ce matériau en France (en 1997) alors que son caractère cancérigène était souligné par une résolution du Parlement européen de janvier 1978.
La mission a aussi examiné les améliorations qui sont susceptibles d'être apportées aux mécanismes de réparation pour les victimes. La mission estime qu'il faut rendre les indemnisations plus cohérentes et plus homogènes et ajoute qu'il est nécessaire de réduire les recours contentieux. Il est indispensable selon elle de remédier aux dérives du dispositif de préretraite des salariés ayant été exposés à l'amiante, parfois utilisé comme instrument de gestion des effectifs dans des secteurs d'activité en difficulté.
Le rapport prévoit que 27 à 37 milliards d'euros devront être consacrés dans les vingt ans à venir à la prise en charge des victimes de l'amiante soulignant que cela pose un problème de financement.
De plus, du fait de l'amiante résiduel et environnemental auquel sont plus particulièrement exposées certaines populations (professions de « second oeuvre » dans le bâtiment, personnels de maintenance et d'entretien, ouvriers des chantiers de désamiantage…), le risque n'est pas seulement derrière nous. Il apparaît nécessaire de renforcer les dispositifs de précaution, de s'assurer de l'innocuité des produits de substitution, comme les fibres céramiques réfractaires, et de réglementer la mise sur le marché des produits chimiques, indique le rapport.
Dans cette perspective, la mission formule 28 propositions autour de 8 orientations : le suivi médical post-professionnel, le FCAATA**, le FIVA, les procédures contentieuses, les mesures financières, les entreprises de désamiantage, la réglementation environnementale relative à l'amiante et la prévention de nouvelles contaminations. Elle préconise notamment au gouvernement de compléter le décret du 7 février 1996 afin de mieux prendre en compte la protection des salariés travaillant sur des chantiers amiantifères, d'établir et publier un code de traçabilité des déchets amiantés et de favoriser la valorisation des déchets vitrifiés de l'amiante.
Elle souhaite aussi un recensement national des salariés de ces entreprises, à l'exemple du secteur nucléaire, pour les bénéficier d'un suivi médical spécifique.
L'association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva) estime que ce rapportrend inévitable la tenue d'un procès pénal de l'amiante. Elle rend aussi hommage au véritable travail d'enquête (de la mission) qui démonte l'enchaînement des responsabilités dans la plus importante catastrophe sanitaire que la France ait connue.
Compte tenu des très longs délais de latence des pathologies malignes, et notamment du cancer de la plèvre (mésothéliome), 60 000 à 100 000 décès sont attendus dans les 20 à 25 ans à venir.
* Les six types d'amiante sont chrysotile (fibres blanches bouclées, flexibles), crocidolite (fibres bleues droites), amosite (fibres fragiles de couleur gris-clair), amiante d'anthophyllite, amiante de tremolite, et amiante d'actinolite.
** Fonds de Cessation Anticipée d'Activité des Travailleurs de l'Amiante