
AP : Le principe général de fonctionnement d'une petite centrale hydroélectrique consiste à transformer l'énergie potentielle d'une chute d'eau en énergie mécanique grâce à une turbine, puis en énergie électrique au moyen d'un générateur. La puissance installée de la centrale est fonction du débit d'eau turbiné et de la hauteur de chute.
AE : On reproche souvent à la petite hydroélectricité les troubles qu'elle occasionnerait à la flore et à la faune. Qu'en est-il réellement aujourd'hui ? Sont-elles par exemple un obstacle pour les poissons migrateurs ?
AP : Il faut préciser en premier lieu que les petites centrales hydroélectriques sont réglementées pour maîtriser leurs impacts environnementaux, en particulier sur la faune : en effet, il y a obligation de laisser dans la rivière un « débit réservé », qui assure la préservation de la faune et de la flore (la loi pêche de 1984 a fixé ce débit réservé minimum au 10e du débit annuel moyen de la rivière – contre le 40e auparavant, pour les nouvelles installations). De plus, quand les centrales sont situées sur des cours d'eau à grands migrateurs, les barrages sont équipés d'échelles à poissons qui permettent le franchissement de l'obstacle pour faciliter la migration. Au cours des 15 dernières années, plus de 400 de ces échelles ont été réalisées ou améliorées pour assurer la libre circulation des poissons migrateurs.
N'oublions pas non plus l'obligation de réaliser une étude d'impact en amont de tout projet d'installation d'une centrale hydroélectrique. Près de 15 millions d'euros ont été investis par les producteurs dans ces études depuis 1980.
Mais il faut également souligner les progrès importants réalisés en génie hydro-écologique ces dernières années : les scientifiques, les techniciens ont cumulé les travaux, les échanges internationaux, pour mieux comprendre l'interaction des aménagements avec la rivière et mettre en œuvre des solutions efficaces. Parmi les techniques reconnues on peut citer la méthode des micro-habitats développée pour déterminer la valeur optimale du débit réservé pour la faune aquatique, la mise au point de passes à poisson efficaces, puis de passes construites comme des bras naturels de rivière (« stream-like ») et le développement des ouvrages mêlant les techniques du génie civil et celles de l'aménagement des espaces verts comme par exemple, les berges végétalisées des canaux.
AE : Vous avez récemment édité un guide d'accompagnement vers la certification ISO 14001, quel est l'intérêt de cette norme pour les petites centrales hydroélectriques ?
AP : Ce guide est le résultat d'une démarche « pionnière » en Midi-Pyrénées pour aboutir aux premières certifications de petites centrales hydroélectriques en 2002.
Rappelons tout d'abord que la Norme ISO 14001 « environnement » permet aux industriels de bâtir un système de management environnemental dont le but est l'amélioration continue des performances environnementales, la conformité réglementaire et la prévention de toute pollution.
Les intérêts de la mise en place de cette norme pour les gestionnaires de petites centrales hydroélectriques sont multiples. On citera le fait de prendre conscience de leurs impacts environnementaux, d'y remédier au fur et à mesure grâce à un programme environnemental, d'assurer une veille réglementaire environnementale (recensement des exigences locales et nationales – par exemple, code de l'environnement dans les domaines de l'eau, des déchets, du bruit…) pour vérifier sa totale conformité, et de sensibiliser et former les différents intervenants (surveillant, sous-traitants,…) à l'importance du respect de l'environnement dans leur travail au quotidien. Il s'agit également de formaliser les techniques de gestion, maintenance, surveillance, de prévenir les situations d'urgence comme les pollutions de l'eau en particulier et de prendre en compte les demandes extérieures pour partager équitablement entre tous ses utilisateurs (pêcheurs, sportifs de rivière, agriculteurs, industriels, consommateurs d'eau potable dans certains cas). Traiter chaque demande extérieure permet d'amorcer le dialogue, et l'on voit bien l'efficacité pour la rivière, la faune et la flore, d'une gestion en commun, concertée.
De plus, le volet portant sur la communication de la Norme est l'occasion d'ouvrir les centrales, de les faire visiter et de diffuser le résultat de nos performances environnementales, en toute transparence !
AE : L'hydroélectricité est la première des énergies renouvelables en France, historiquement et quantitativement. Quel est son potentiel de développement dans l'avenir ?
AP : La totalité du potentiel hydroélectrique exploitable en France s'élève à 100 milliards de kWh ou 100 TWh ; la production actuelle est de 70 TWh, dont 10% de petite hydroélectricité (2.020 MW de puissance installée pour 1.730 petites centrales de moins de 8 MW).
Compte tenu des conditions actuelles de réglementation, le potentiel de développement à l'horizon 2015 s'élève à 7 TWh supplémentaires (70 % de projets neufs et 30 % d'amélioration de l'existant) et 2.300 MW d'équipements de pointe. Si la France veut tenir son objectif de 21 % de production électrique d'origine renouvelable à l'horizon 2010, elle ne peut pas faire l'impasse sur le potentiel hydroélectrique qui représente 1 /5e de l'effort nécessaire.
AE : Qu'attendez vous du projet de loi sur l'eau qui sera discuté au Parlement en février ?
AP : Le projet de loi sur l'eau qui a été adopté en première lecture au Sénat en avril dernier contient des mesures plutôt positives pour ce qui concerne les débits réservés (débits inférieurs au 10e du débit annuel moyen (module) pour certaines installations ou cours d'eau atypiques) et les classements de rivière (qui interdisent tout nouveau projet et constituent un frein majeur au développement de l'hydroélectricité), revus sur des critères précis : très bon état écologique au sens de la directive cadre sur l'eau ou protection absolue des grands migrateurs.
Nous souhaitons la cohérence entre les mesures favorables de la loi « énergie » et les dispositions de la loi sur l'eau, qui ne doivent pas entrer en contradiction avec l'esprit de la loi « énergie ». Rappelons brièvement quelques mesures de cette loi, adoptées dans le but de favoriser le développement de notre filière : valorisation de l'eau comme ressource économique, évaluation de la ressource hydroélectrique par zone géographique, réalisation d'un bilan énergétique (conséquences sur les objectifs de développement des énergies renouvelables et sur les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre) pour tout acte administratif relatif à la gestion de la ressource en eau.
Par ailleurs, le pragmatisme de ce projet de loi, qui ne doit pas perdre de vue que l'objectif à l'horizon 2015 est d'atteindre le « bon état voire le bon potentiel écologique» des cours d'eau. Pour réaliser cet objectif de résultat, qui est tout à fait légitime et auquel nous pouvons contribuer, il nous semble plus pertinent de privilégier des mesures dont on est sûr qu'elles concourront à cet objectif, au détriment de mesures normatives, non scientifiquement fondées, et n'ayant pas fait la preuve de leur efficacité sur le terrain. Nous pouvons citer par exemple la généralisation à tous les ouvrages des débits réservés au 1/10° du débit moyen interannuel du cours d'eau au 1er janvier 2014 (ce qui aboutirait à une perte de production de 2,5 TWh) ou la nouvelle notion de « réservoir biologique », particulièrement floue, qui constituerait un nouveau critère de classement en rivières réservées. Le résultat de telles mesures pourrait n'être finalement que la perte de production hydroélectrique, et l'augmentation conjointe des émissions de CO2 et de gaz à effet de serre.
L'hydroélectricité a un rôle majeur à jouer dans le futur paysage électrique français : elle représente 95% de la production d'électricité renouvelable, elle a un potentiel de développement significatif et elle contribue à assurer la sécurité du système électricité par sa production de pointe. Mais son développement est avant tout un enjeu écologique par sa capacité à se substituer à des moyens de production électrique de pointe générateurs de CO2 et de gaz à effet de serre, et par les progrès de son insertion environnementale, qui permettent de concilier production d'électricité et protection des milieux aquatiques.