Selon le Forum de l'Agriculture Raisonnée Respectueuse de l'Environnement (FARRE), ce mode de production est avant tout un état d'esprit auquel adhère l'agriculteur. C'est une démarche volontaire à laquelle l'agriculteur souhaite exercer son activité dans le respect de son environnement, de sa sécurité et du bien-être de ses animaux, en maîtrisant ainsi les risques.
Contrairement à l'agriculture biologique qui n'autorise aucun produit chimique de synthèse, l'agriculture raisonnée utilise les mêmes techniques et mêmes produits que l'agriculture traditionnelle mais si et seulement si cela s'avère nécessaire. Par exemple, l'agriculteur doit effectuer des analyses de sols précises et régulières pour évaluer la fertilité de sa parcelle et en déduire la quantité de fertilisants de synthèse nécessaire et suffisante qu'il devra appliquer.
L'agriculture raisonnée pousse ainsi l'agriculteur à s'améliorer constamment en fonction de son environnement et à se poser des questions sur les techniques qu'ils utilisent pour choisir les plus adaptées aux particularités de chacune de ses parcelles et de chacune de ses productions. Concrètement, l'agriculture raisonnée tient compte des spécificités naturelles locales.
À l'origine sans garanties ni contrôle, l'agriculture raisonnée est dotée d'un cadre officiel depuis mai 2002 en France à travers la loi dite « nouvelles régulations économiques ». Les décrets et arrêtés définissent plus précisément le cahier des charges de la démarche et le dispositif de qualification. En effet, le respect des exigences du Référentiel national de l'Agriculture Raisonnée donne droit à une reconnaissance qualificative par des organismes accrédités. Ce référentiel comporte 98 exigences nationales dont 43 sont réglementaires et porte par exemple sur la gestion des sols, l'irrigation, la santé des animaux ou encore la gestion des déchets. Ces exigences nationales sont complétées par des exigences territoriales pour répondre à des problématiques plus locales. Cette qualification est attribuée pour une durée de cinq ans si les résultats de l'audit montrent que l'agriculteur met en œuvre l'ensemble des exigences.
Fin 2005, 1149 exploitations étaient qualifiées principalement en Languedoc-roussillon (33,3%), en région Centre (15,8%) et en Aquitaine (9,2%). Ces qualifications concernent en majorité des productions de vigne et de grandes cultures (céréales et oléoprotéagineux). La méthode séduit progressivement mais la majorité des agriculteurs convaincus le sont pour le principe qu'elle véhicule. Ils avouent tout de même qu'elle présente certains bénéfices en termes d'efficacité d'organisation, d'anticipation de la réglementation et surtout dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC). Désormais les aides de la PAC sont allouées en fonction du respect de certains critères dont la majorité sont déjà pris en compte dans l'agriculture raisonnée ce qui diminue les risques de non conformité par rapport à la PAC. D'ailleurs à compter de cette année les exploitations qualifiés au titre de l'agriculture raisonnée seront exclues de la catégorie des exploitations dites « à très haut risque » susceptible de se faire contrôler dans le cadre de la PAC.
Ainsi pour séduire les agriculteurs et augmenter le nombre de qualification, le FARRE compte sur ce point mais également sur l'incitation financière de 1000€ attribuée aux exploitations qualifiées qui a été accordée par le ministère de l'Agriculture et de la Pêche en octobre 2005.
Cependant, certains agriculteurs sont réfractaires à cette méthode. Dans un contexte économique très difficile, ils ne savent pas comment assurer la rentabilité de leur exploitation alors que la mise en œuvre de l'agriculture raisonnée nécessite du temps, de l'argent et ne permet pas un retour financier immédiat et suffisant. Alors que certains agriculteurs peuvent tenter d'augmenter leur prix de ventes pour équilibrer leurs finances, ceux qui appartiennent à un réseau de transformation et de distribution, comme les producteurs de céréales, sont menacés par la concurrence notamment étrangère.
De plus, la démarche manque de légitimité auprès des consommateurs. Les produits issus de cette filière ne sont pas mis en avant et ne bénéficient pas encore d'étiquetage adapté et reconnaissable comme c'est la cas pour la filière biologique. Il est donc très difficile pour certains agriculteurs de se lancer dans la démarche. Ne nous voilons pas la face ! il est de plus en plus difficile d'entraîner des acteurs économiques dans une attitude positive lorsque ces derniers constatent tous les jours que les signes négatifs s'accumulent, a précisé Bernard Guidez, président du FARRE, à l'occasion des 9ème rencontres FARRE de l'Agriculture raisonnée organisé mercredi dernier. D'un côté, nous fédérons les espoirs de tous ceux qui veulent engager un dialogue approfondi et qui nous presse d'aller plus loin et plus vite, de l'autre, nous cristallisons les critiques de tous ceux qui considèrent que l'environnement est une sorte de « science pure » qui ne souffre d'aucun compromis, a-t-il rajouté.
Néanmoins le débat avance et cette année les 9ème rencontres FARRE de l'Agriculture raisonnée se sont focalisées sur la relation entre l'agriculture et la biodiversité dans le cadre de la stratégie pour la bioversité menée par le Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable. L'agriculture contribue à la diversité biologique par la sélection de races et de variétés, par la création d'habitats spécifiques mais il arrive aussi qu'elle la réduit en simplifiant les parcelles et les cultures ou en raisonnant insuffisamment son intensification, a expliqué, Bernard Guidez.
En effet, les relations entre agriculture et biodiversité sont complexes et ambivalentes. La diversité du vivant est le matériau de base de l'agriculture sans lequel il serait impossible d'obtenir des productions variées et adaptées à de nombreuses utilisations. Mais, la biodiversité est aussi une source de contraintes que l'agriculteur doit gérer : les mauvaises herbes, les ravageurs de cultures, les micro-organismes pathogènes, etc.
Certaines activités agricoles ont un impact favorable sur la biodiversité en participant à l'entretien des paysages et au maintien de la biodiversité des espèces domestiquées et sauvages comme l'utilisation de variétés locales ou le maintien de la faune et de la flore sauvages par l'entretien des forêts, des prairies et des haies. Parallèlement, d'autres pratiques agricoles, liées notamment à l'intensification de certaines productions, peuvent avoir des répercussions inverses : la réduction du nombre de variétés utilisées au bénéfice de quelques-unes à haut rendement et adaptées aux conditions de production ou l'utilisation de produits visant à protéger la production mais détruisant la faune et la flore sauvages.
Mais la biodiversité ne concerne pas que les agriculteurs. C'est un domaine qui nécessite une action commune entre les associations de protection de la nature, les agriculteurs, les parcs naturels régionaux, la population locale mais aussi les usagers de la nature comme les chasseurs, pécheurs ou randonneurs… Cette multitude d'acteurs ne facilite pas la tâche surtout que la problématique doit être gérée au niveau local en fonction des spécificités du milieu. Cependant des expérimentations sont en cours. Impulsé par la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO), un programme mobilise actuellement 50 exploitations FARRE, 50 exploitations de la Fédération Nationale des agriculteurs biologiques et 50 de la FNCIVAM*. L'échange d'expérience entre toutes ces exploitations doit aboutir à l'élaboration de pratiques pertinentes pour améliorer la biodiversité comme la création de corridors biologiques. Alors que les pratiques agricoles ont trop tendance à uniformiser les paysages et isoler les populations, la mise en place de bandes enherbées ou la plantation de haies permet de recréer des liens entre les bosquets ou les forêts favorisant la circulation des individus et des espèces. Selon Bernard Guidez, les agriculteurs ont tout intérêt à s'investir rapidement dans une démarche de biodiversité en ne considérant plus la parcelle mais l'ensemble de l'exploitation comme une entité en lien avec son territoire.
Actuellement aucune exigence du référentiel national de l'agriculture raisonnée ne va dans ce sens, mais compte tenu des engagements de la France la réglementation risque d'évoluer et l'agriculture raisonnée se doit d'être toujours en avance pour conserver son intérêt.
Ces opposants utilisent d'ailleurs ce point pour l'accusé de ne proposer qu'une version améliorer de la réglementation avec des critères plutôt laxistes et de rester dépendante du lobbying des produits chimiques.
Cependant, elle a le mérite de sensibiliser progressivement les agriculteurs à des pratiques plus respectueuses de l'environnement. L'avenir dira si ce type d'agriculture aura servi de tremplin à des méthodes agricoles plus écologiques et durables ou si celle-ci, en devenant le standard de production de demain, se contentera de maintenir les problèmes environnementaux à une échelle acceptable, sans jamais vraiment les éliminer totalement.