
Inquiets pour leur profession qui perd aujourd'hui 1000 apiculteurs par an, les apiculteurs craignent également que les problèmes rencontrés par leurs abeilles domestiques soient encore plus graves au sein des espèces sauvages. Ce qui pourrait avoir des répercussions néfastes pour la biodiversité floristique et pour la production de nombreux fruits et légumes. En effet, selon l'INRA, la survie ou l'évolution de plus de 80 % des espèces végétales dans le monde et la production de 84 % des espèces cultivées en Europe dépendent directement de la pollinisation par les insectes, essentiellement les abeilles. Elles interviennent dans la pollinisation de très nombreuses cultures, comme les arbres fruitiers, les cultures oléagineuses (colza, tournesol), les semences de nombreux légumes et condiments, etc.
Afin d'alerter l'opinion publique et de sensibiliser par la même occasion la population citadine, l'Union Nationale de l'Apiculture Française (UNAF) lance une grande opération nationale et européenne destinée à placer, au cœur des villes, l'abeille en tant que « Sentinelle de l'Environnement ». En installant des ruches en ville et en analysant la population d'abeilles et le type de miel qu'elles produisent, il est possible d'en déduire la biodiversité floristique du secteur et la qualité de l'environnement dans lequel elles évoluent. Les abeilles butinent dans un rayon de 3 km et ramènent chaque jour à la ruche le nectar et le pollen de plus de 225.000 fleurs présentes dans leur champ d'action. C'est à partir de l'analyse des miels et pollens effectuée chaque année que l'on peut mettre en évidence la disparition ou l'apparition de nouvelles espèces. L'étude de l'état de santé de la colonie (nombre d'abeilles, importance de la ponte, taux de mortalité, etc…) lors des visites régulières de l'apiculteur, permet d'en déduire la qualité de l'environnement.
Lancée fin 2005, cette action de sensibilisation compte à ce jour, trois partenaires : la Région Languedoc-Roussillon, la Ville de Nantes et l'agence de communication Anatome. Sur la base d'une convention de trois ans renouvelable, l'UNAF prend en charge la gestion du rucher pour l'installation, le suivi et la récolte du miel. Cette récolte a lieu une fois par an et donne lieu à des manifestations organisées avec le partenaire et où le citadin est invité à participer, observer, s'informer auprès des apiculteurs et, bien sûr, goûter le miel de sa ville.
Des ruchers d'abeilles existent dans d'autres grandes agglomérations, sur les toits d'institutions publiques, chez les particuliers ou dans les entreprises. Des analyses des pollens et des miels ont assuré que les produits étaient d'aussi bonne qualité que dans les zones rurales. Même si cela peut paraître paradoxal, les colonies d'abeilles vivent aujourd'hui mieux en ville en raison de l'absence de traitements phytosanitaires, d'une température légèrement supérieure à celle de la campagne et d'un enchaînement de floraisons souvent plus régulier qui permet un butinage plus long sur une grande diversité de fleurs. Les abeilles produisent fort bien et expriment une vitalité rassurante, affirme Jean Paucton, responsable des ruchers de la Villette et de l'Opéra à Paris. D'ailleurs, le nombre de ruches en ville augmente un peu plus chaque année pour atteindre en 2004, à Paris, les 200 à 300 unités.
Même constat à Nantes : selon l'étude des Services Vétérinaires, le rendement de la ruche en plein centre-ville, sur les toits du Théâtre Graslin, est bien meilleur qu'il ne l'est à 30 km en rase campagne. En 2005, les pertes en hiver atteignaient 40% à la campagne contre 6% en ville.
D'autre part, les paysages végétaux urbains sont tous artificiels mais ces plantations, effectuées pour des raisons esthétiques ou en raison des avantages offerts par certaines espèces résistantes aux pollutions atmosphériques, permettent l'introduction d'espèces exotiques parfois très intéressantes pour leur production nectarifère donnant au miel des saveurs particulières.
L'UNAF travaille, d'ores et déjà, à la création d'un label européen avec d'autres partenaires apicoles européens. Ce label serait accordé aux villes françaises et européennes participant à l'opération, favorisant ainsi la sauvegarde de l'environnement et, en particulier la biodiversité au cœur des cités et des campagnes.
Cette campagne de sensibilisation s'inscrit dans un programme de recherche européen plus ambitieux. Dénommée ALARM (Assessing Large-scale environmental Risks fot biodiversity with tested Methods), cette étude a été lancée en 2004 et a pour but, d'ici 2009, d'évaluer les risques qui pèsent sur la biodiversité dans son ensemble (terrestre et aquatique) avec des méthodes éprouvées. ALARM comprend 4 modules : changements climatiques, produits chimiques, espèces invasives et pollinisateurs. Pour ce dernier, il s'agit d'une part, d'évaluer l'évolution récente des populations de pollinisateurs pour confirmer leur déclin et le quantifier, d'autre part, de mesurer l'impact potentiel de ce déclin sur l'agriculture européenne et la flore sauvage. L'INRA d'Avignon coordonne les travaux sur l'évaluation de l'impact de la faune pollinisatrice avec en 2005 une étude sur le melon en France, la fraise en Allemagne, le sarrazin en Pologne, le colza de printemps en Suède et la févérole au Royaune-Uni.
Le sujet fait l'objet de recherche également au CNRS. Actuellement se met en place une mission pluridisciplinaire regroupant un chercheur du CNRS, un anthropologue, un sociologue, un urbaniste architecte et un ethno-botaniste autour du principe de « Pollinisation de la ville ». Ce projet intitulé « Zones sensibles » devrait permettre sur quatre années d'inviter les chercheurs à enquêter et prospecter dans l'espace public afin d'établir des analyses superposées d'aménagement du territoire, biodiversité botanique et culturelle avec l'abeille comme bio et socio-indicateur entre l'urbain, le péri-urbain et les zones rurales.