C'est pourquoi, l'Association pour la Recherche sur le Cancer et la FNATH, association des accidentés de la vie ont engagé depuis 2002 un vaste programme pour étudier le rôle des diverses nuisances sur l'apparition des cancers et mettre au point des méthodes d'évaluation des expositions professionnelles. Les équipes de recherche se sont notamment penchées sur les produits phytosanitaires, sur l'amiante et sur les poussières de bois. Après trois ans d'étude les premiers résultats sont décisifs et ont été présentés le 22 mars dernier à l'occasion d'un colloque sur les cancers professionnels.
Concernant les pesticides et les produits phytosanitaires, les études ont porté sur les principaux utilisateurs que sont les agriculteurs. La France se situant au 2ème rang, après les Etats-Unis, des utilisateurs de pesticides avec près de 100.000 tonnes utilisées chaque année, elle s'avère de ce fait particulièrement concernée. La population exposée est très nombreuse : 664.000 exploitations agricoles, correspondant à une population active familiale de 1.155.000 personnes employant environ 154.000 salariés permanents. 9.000 produits divers sont commercialisés en France représentant environ 900 substances actives.
Si des études menées en Amérique du Nord et en Europe du Nord ont montré que la mortalité par cancer, tous cancers confondus, est moins élevée chez les agriculteurs que dans le reste de la population, certains cancers seraient plus fréquents : cancers cutanés, cancers de la prostate, cancers gastriques et cancers cérébraux. Les premiers résultats de l'ARC et de la FNATH confirment ces faits. Selon l'étude CEREPHY, les risques de tumeurs cérébrales sont multipliés par 2,6 pour les populations agricoles les plus exposées aux produits phytosanitaires et par plus de 3,2 pour certains types de tumeurs du cerveau.
Au-delà des professions agricoles qui utilisent ces produits dans le cadre de leurs activités professionnelles, ces résultats concernent également les personnes amenées à jardiner ou qui entretiennent leurs plantes d'intérieur avec ces produits. Les sujets déclarant traiter régulièrement les plantes d'intérieur ont un risque 2,6 fois plus élevé. Des analyses complémentaires sont en cours pour expliciter ces résultats.
L'ARC et de la FNATH ont lancé l'étude PESTEXPO afin de mieux connaître les expositions réelles des utilisateurs au cours d'une journée, d'une saison et d'une vie professionnelle, en fonction des types de culture, des périodes et des zones géographiques.
Près de 200 personnes utilisatrices de pesticides ont été observées à la fois dans des grandes exploitations agricoles et de polyculture-élevage dans le Calvados que dans des exploitations viticoles de tailles variées en Gironde. 8.000 dosages ont déjà été effectués sur les tenues de travail. Les paramètres principaux identifiés sont, par ordre décroissant : la phase d'exposition, le type de matériel utilisé et la protection individuelle. Les résultats doivent encore être analysés et aucune présentation n'est prévue pour l'instant.
Concernant l'amiante, l'Association pour la Recherche sur le Cancer mène des recherches pour préciser le rôle cancérigène de l'amiante et des fibres de substitution. Depuis son interdiction, l'amiante a été remplacé par des laines de roche ou de verre mais les études les plus récentes ne permettent pas d'écarter complètement le risque de cancer du poumon lié à ces fibres de substitution. L'étude ICARE est consacrée à ce problème. Elle a pour objectifs principaux de différencier les effets dus à l'amiante et aux fibres de substitution sur des travailleurs ayant souvent été exposés successivement aux deux et d'identifier de nouveaux facteurs de risque professionnels, en particulier parmi les fibres de substitution.
Cette étude va observer environ 30.000 épisodes professionnels, en évaluant à chaque fois le risque et l'intensité d'exposition à l'amiante et aux fibres : c'est la plus vaste étude cas/témoins sur ce thème jamais initiée sur le plan international.
Le recueil des données est actuellement en cours dans 10 départements. 2.500 cas de cancer du poumon, 1.700 cas de cancer des voies aéro-digestives supérieures et 1.500 témoins ont déjà été interrogés. Le recueil des données est prévu jusqu'à la fin 2006, les premières analyses statistiques débuteront en 2007 et les premiers résultats seront disponibles en 2008.
Une deuxième étude se penche quant à elle sur la recherche de nouvelles techniques de dépistage précoce des cancers broncho-pulmonaires provoqués par l'amiante. 2000 retraités ayant été exposés à l'amiante ont testé deux nouvelles techniques de dépistage : la quantification morphologique de l'ADN et le scanner thoracique faiblement irradiant. Il s'agit de préciser l'efficacité de ces techniques par rapport à l'examen clinique et à la radiographie pulmonaire qui sont habituellement exécutés.
Effectué comme la radiographie pulmonaire sans préparation particulière, et avec de faibles niveaux d'irradiation, le scanner thoracique permet de rechercher dans l'ensemble du poumon de petites images rondes (nodules), retrouvées de façon assez fréquente même lorsque la radiographie est normale. Liés le plus souvent à des cicatrices bénignes, ces nodules sont susceptibles de correspondre occasionnellement à de petits cancers débutants. Le suivi régulier de l'ensemble des sujets a permis de repérer 4 cancers pulmonaires qui ont échappé aux dépistages et sont apparus entre les bilans médicaux.
La quantification morphologique de l'ADN consiste à examiner au microscope les cellules présentes dans le crachat des patients. L'examen effectué par l'œil du médecin est complété par un système automatique d'analyse d'images repérant des noyaux cellulaires suspects que l'œil n'aura pas reconnus et qui peuvent être révélateurs de la présence de cellules cancéreuses. Pour l'instant seul l'examen à l'œil nu par le médecin a été effectué. La mise au point de l'analyse automatisée des noyaux cellulaires est en cours d'achèvement et les analyses vont pouvoir commencer. Les données, analysées en comparant les sujets indemnes de cancer et ceux qui en auront été atteints (cancers dépistés ou non par le scanner), permettront de vérifier si cette technique est plus efficace que l'œil humain pour un dépistage précoce.
Pour ce qui est des poussières de bois, des études ont déjà mis en évidence un risque de cancers naso-sinusiens (du nez et des sinus) 40 fois plus élevé chez les ébénistes et les menuisiers que chez les travailleurs non exposés. 200.000 personnes sont concernées en France à travers notamment les industries du bois et du papier, les fabriques de meubles, la construction et l'exploitation forestière. Les études de l'ARC et de la FNATH ont pour objectif de constituer une base de données associant chaque emploi à un niveau d'exposition aux poussières de bois et d'évaluer le rôle des expositions dans les cancers du poumon, du nez et des sinus. La base de données appelée « MATGÉNÉ » est en cours de réalisation. Environ 7.500 sujets représentant plus de 25.000 épisodes professionnels différents ont d'ores et déjà été étudiés depuis 2002 pour définir la matrice emplois-expositions. À partir de cette base de donnée, les sujets potentiellement exposés pourront être identifiés et étudiés afin d'évaluer l'impact de cette exposition sur les cancers.
D'autres matrices de ce genre ont déjà été constituées pour les poussières organiques (cuir, farine, céréales) ou inorganiques (ciment, silice), les fibres (amiante, laines minérales, fibres céramiques) et les solvants pétroliers (benzène, carburants). Les solvants oxygénés (cétones, éthers de glycols) et chlorés (trichloréthylène), les hydrocarbures aromatiques polynucléaires et le formaldéhyde sont les prochaines nuisances planifiées.
Enfin, une matrice « cultures-exposition aux phytosanitaires » est en préparation en collaboration avec divers acteurs du monde agricole. À terme, les principaux cancérogènes avérés ou suspectés feront l'objet de matrices.
Les cancers professionnels constituent un intérêt fondamental pour les programmes de recherche sur le cancer, car les populations professionnelles sont une « population sentinelle » vis-à-vis de la population générale pour l'identification de nouvelles substances cancérigènes, compte tenu de l'importance des niveaux d'expositions et de leur durée d'exposition.