Pourtant, la France s'est dernièrement fixé des objectifs ambitieux en termes d'incorporation de biocarburant : il conviendra d'atteindre 5,75 % en 2008, 7 % en 2010 et 10 % en 2015, soit une anticipation de deux ans pour la première de ces échéances par rapport à la directive européenne.
Pour ce faire, dans un contexte de hausse du cours du baril de pétrole, de lutte contre l'effet de serre et de révision de la politique agricole commune, Dominique Bussereau, ministre de l'Agriculture et de la Pêche et François Loos, ministre délégué à l'Industrie, avaient réuni, en novembre 2005, à Bercy, les acteurs du monde agricole et du secteur pétrolier, les constructeurs et équipementiers automobiles ainsi que les professionnels du machinisme agricole. Estimant que le développement du carburant E85 - essence à 85% d'éthanol utilisable dans des véhicules dits « Flex-Fuel » disposant de moteurs adaptés et utilisant indifféremment l'E85 ou l'essence sans plomb normale - représentait une voie intéressante pour l'avenir, les ministres s'étaient engagés à mettre en place un groupe de travail interministériel visant à préciser les perspectives de développement de cette filière.
Le 7 juin dernier, Thierry Breton a demandé à Alain Prost d'animer ce groupe de travail et de proposer un plan d'action opérationnel pour le développement de ce carburant à l'horizon 2010. L'objectif du gouvernement : autoriser complètement ce carburant à compter du 1er janvier 2007 et encourager le développement d'un réseau de pompes vertes pour le distribuer sur l'ensemble du territoire français.
Après trois mois de travail avec tous les acteurs, Alain Prost a remis aujourd'hui à Bercy, et ce, juste avant le Mondial de l'Automobile qui débute samedi à Paris, ses premières conclusions à Thierry Breton et à Dominique Bussereau. Lors d'une conférence de presse, l'ancien pilote automobile a rappelé que ce type de carburant était déjà utilisé avec succès aux Etats-Unis, au Brésil, en Suède, en Allemagne et en Pologne.
Thierry Breton a donc affirmé sa volonté de soutenir sans réserve le développement de ce nouveau carburant dans l'intérêt du pouvoir d'achat des consommateurs, de l'indépendance énergétique de la France et des filières agricoles et industrielles. Nous lançons aujourd'hui, à grande échelle le premier carburant de l'après-pétrole pour les automobilistes français, a-t-il déclaré. Dominique Bussereau a quant à lui indiqué que le développement de cette filière est une nouvelle étape pour le développement des biocarburants. Il leur donne une visibilité plus grande en permettant aux consommateurs de faire le choix entre l'énergie fossile et l'énergie renouvelable. Les biocarburants, je le rappelle, apportent une contribution extrêmement importante pour le secteur des transports à l'atteinte de nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre et permettent de lutter efficacement contre le changement climatique, a-t-il souligné.
Dans le respect du cadre fixé par la communauté européenne, le rapport recommande que la fiscalité de l'E85 soit très incitative pour que le prix de ce nouveau carburant soit réellement très avantageux pour l'automobiliste.
Pour accompagner le développement de cette filière, le rapport préconise également des mesures ciblées en faveur des flottes de véhicules de société et par la politique d'achat de la puissance publique. Thierry Breton a indiqué que le gouvernement arrêterait très prochainement une décision afin que le régime fiscal de l'E85 soit fixé par la loi avant la fin de l'année 2006.
Cinq constructeurs automobiles dont PSA et Renault devraient vendre en France des véhicules pouvant utiliser ce carburant en 2007, alors que 500 pompes devraient également fournir de l'E85 dès l'an prochain. Objectif tout à fait réalisable selon le champion du monde de Formule 1.
L'éthanol incorporé dans l'E85 est un alcool principalement produit par la fermentation et la distillation de grains riches en sucres et en amidon, c'est-à-dire à partir de betteraves à sucre ou de céréales. Sept producteurs* se partagent la production française d'éthanol qui atteignait 100.000 tonnes en 2005. Grâce à d'importants investissements et la mise en service de six nouveaux outils de production, la production devrait passer à 900.000 tonnes en 2008. Les débouchés actuels de l'éthanol résident essentiellement dans son incorporation dans l'essence sous forme d'Ethyl Tertio Butyl Ether (ETBE) et sous sa forme pure à hauteur de 5% voire 10%, même si en France les pétroliers y sont toujours opposés. L'utilisation de l'E85 constitue donc un nouveau débouché pour ce produit, mais reste intimement liée au développement de la technologie Flex-Fuel. Or, jusqu'à présent, constructeurs automobiles et pétroliers sont restés frileux sur le sujet. C'est dans ce contexte que les ministres ont demandé à Alain Prost de proposer à tous les partenaires de s'engager à signer, dans les prochaines semaines et aux côtés de l'Etat, une « Charte pour l'Ethanol E85 ». Celle-ci formalisera les engagements précis et concrets de chacun des partenaires de ce grand projet pour notre pays et pour les Français, indique le ministère de l'économie et des finances.
Rappelons que pour le moment, seuls Ford et Saab commercialisent des véhicules équipés de cette technologie sur le marché français tandis que Renault et Peugeot font des promesses pour 2007 : dans le cadre des engagements de son plan de relance Renault Contrat 2009, l'entreprise s'est engagée à ce qu'en 2009, 50% des véhicules à moteurs essence proposés à la vente en Europe disposent d'une offre alternative pouvant fonctionner avec un mélange d'essence et d'éthanol. L'entreprise présentera au Mondial de l'Automobile de Paris une Mégane fonctionnant au bioéthanol (E85) qui devrait être vendue en Europe en 2007. Dès la mi-2007, PSA devrait proposer, en Europe, des modèles Peugeot 307 et Citroën C4 Flex-Fuel.
Largement répandue en Suède et au Brésil, cette technologie présente l'intérêt d'être simple d'utilisation sans être plus chère qu'un moteur classique même si elle nécessite des matériels spécifiques et non une simple adaptation des véhicules existants. Sur le plan écologique, l'utilisation de l'éthanol permet de réduire la part des émissions de CO2 issue du carburant fossile. Le pouvoir calorifique de l'éthanol étant inférieur à celui de l'essence, la consommation moyenne est légèrement supérieure quand le conducteur utilise exclusivement de l'E85 plutôt que du carburant classique. Cependant, les émissions de NOx restent nettement inférieures et les véhicules répondent aux normes Euro IV.
Mais alors que certains se sont réjouis de cette annonce et notamment l'association générale des producteurs de blé (AGPB), d'autre se montrent moins enthousiastes.
Pour la Coordination Rurale notamment, les espoirs mis par le gouvernement dans le développement des filières industrielles de biocarburants sont déraisonnables. Il est illusoire de penser que les usines d'éthanol règleront les problèmes de l'agriculture française. Il est regrettable que l'on n'ait pas évalué le réel intérêt des biocarburants, tant pour les agriculteurs que pour l'économie et l'environnement, avant d'engager notre pays dans des investissements coûteux et de rentabilité douteuse, indique-t-il dans un communiqué. Se pose également le problème du bilan global du cycle de vie des biocarburants qui est loin de faire l'unanimité. Génération écologie juge par exemple que plusieurs interrogations restent en suspens et ajoute que l'éthanol nécessite des terres cultivables en grande quantité et que la consommation de notre pays en pétrole est telle (près de 50 millions de tonnes de pétrole par an) que la superficie de terres arables de notre pays ne suffirait largement pas à produire la quantité équivalente. Jean-Marc Jancovici, consultant sur le changement climatique et co-auteur du livre « Le Plein s'il vous plait ! » , avait de même déclaré à Actu-Environnement dans une interview, que si le Brésil disposait de terres suffisantes pour satisfaire à sa consommation, la France était loin d'être dans le même cas. De plus, pour Génération écologie, ces cultures non destinées à la consommation provoquent un recours important à l'irrigation et aux produits phytosanitaires, contaminant par la même les milieux naturels.
Enfin, malgré ses promesses, le constructeur automobile PSA émet lui aussi des réserves. Pour obtenir une introduction massive des biocarburants, l'approche de faibles taux de biocarburants sur de grands volumes à la pompe reste la voie la plus efficace et la moins coûteuse,a confié le groupe à l'AFP en raison des importants investissements nécessaires pour modifier les moteurs et adapter les circuits de distribution.
*Cristal Union, Saint Louis-Sucre, Société Vermandoise Industries, Sucrerie de Bourdon, Sica de la Vallée du Loing, Téréos, Tate & Lyle.