En effet, la culture du soja en Amérique du Sud, principalement destinée à nourrir les élevages intensifs, en particulier en Europe, est encouragée par des filières agroalimentaires de plus en plus intégrées mondialement. Les campagnes d'Amérique latine sont donc en pleine mutation : au système traditionnel familial se substitue un système plus moderne où les complexes agro-industriels prennent de l'ampleur. Pour maximiser leurs profits, ces agro-industriels produisent exclusivement des organismes génétiquement modifiés et recherchent constamment de nouvelles parcelles. Les moins vertueux d'entre eux récupèrent ces parcelles en supprimant la forêt amazonienne.
En France, la campagne a permis, à travers des pétitions, d'interpeller les acteurs majeurs de cette expansion : les entreprises Cargill et Louis-Dreyfus, qui achètent et transforment le soja, ainsi que le Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, qui en approuvant des prêts de la SFI* aux entreprises de la filière soja, contribue à l'expansion de cette culture. Résultats : les pétitions ont reçu près de 100.000 signatures en 10 mois, adressées au Ministre français de l'Économie et des finances, M. Thierry Breton, et une partie d'entre elles interpellant directement les entreprises. Pour les associations, ce succès témoigne de la préoccupation des Français sur les impacts sociaux et environnementaux négatifs de nos choix économiques et de consommation.
De leur côté, les acteurs impliqués ont prêté attention aux critiques mais aux yeux des associations ils n'assument toujours pas leurs responsabilités. L'entreprise Cargill a répondu aux associations en rappelant son investissement aux côtés de l'organisation américaine Nature Conservancy dans la promotion de bonnes pratiques agricoles auprès de fournisseurs et dans l'initiative « table ronde pour un soja responsable ». Mais aux yeux des associations, Cargill minimise l'ampleur de la déforestation en Amazonie en soulignant que la culture du soja ne représente que 0,6% du biome amazonien. Les entreprises n'apportent pas suffisamment de preuves que le soja qu'elles achètent n'est pas issu de cette déforestation même si elles n'en sont pas directement les actrices, déplorent les associations. Paradoxalement, sous la pression de la campagne internationale de Greenpeace, Cargill s'est engagée en juillet 2006 avec les autres acteurs de la filière soja au Brésil à un moratoire de 2 ans sur l'achat de soja dans les zones illégalement déboisées de la forêt amazonienne. Dans le souci de promouvoir notre politique éthique nous avons informé nos fournisseurs et les autorités locales que, dès la prochaine récolte, Cargill n'achètera plus de soja qu'aux producteurs qui respectent le Code de la forêt ou s'orientent activement vers la conformité totale. Ce moratoire obtenu par Greenpeace et par les organisations brésiliennes mobilisées localement constitue un pas important pour freiner la déforestation en Amazonie.
Au sujet des impacts sociaux, Cargill met en évidence les bénéfices de la filière sur l'économie, sur la création d'emplois pour les populations pauvres de l'Amazonie mais n'a pas pu présenter aux associations de données chiffrées sur ces bénéfices supposés pour la population et le développement local.
Chez Louis-Dreyfus Négoce, on reconnaît à l'inverse et oralement les méfaits du soja sur le plan social et environnemental, mais on dégage l'entreprise de toute responsabilité en se retranchant derrière la souveraineté des Etats d'Amérique du Sud, qui ont fait le choix de développer cette filière soja, et auxquels il reviendrait de fixer des cadres afin de la limiter si les conséquences en sont négatives pour le pays.
Concernant les prêts de la SFI, Thierry Breton a répondu en précisant que ces prêts sont subordonnés à un ensemble de standards environnementaux exigeants en matière de promotion de l'agriculture. Mais, selon les associations, ces normes ont été récemment simplifiées et laissent aux entreprises le soin de mener elles-mêmes les études d'impact. Cependant depuis novembre, un dialogue a été engagé avec le Ministère afin que l'administrateur français soit particulièrement vigilant concernant les projets bénéficiant à la filière soja.
Malgré tout, la mobilisation continue pour les associations. Les membres de la campagne vont poursuivre leur soutien aux initiatives en cours en Amérique du Sud. En France et en Europe, le collectif souhaite renforcer la pression auprès du Ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, auprès des entreprises et tout particulièrement à l'occasion de la campagne électorale pour les présidentielles et législatives en 2007 en interpellant les candidats sur leurs choix et programmes sur toutes ces questions.
*SFI : Société Financière Internationale, filiale de la Banque Mondiale pour les prêts au secteur privé.