"Sur notre territoire, les déplacements en voiture sont faciles, voire trop faciles, ce qui limite la recherche d'alternatives pour se déplacer". Pierrick Allard, directeur du pays de Ploërmel - cœur de Bretagne (Morbihan), résume en quelques mots la difficulté qu'ont les zones rurales à promouvoir les alternatives à la voiture. Ainsi, selon une étude de l'observatoire de la mobilité émergente, 73 % des habitants des zones rurales (1) ont un usage quotidien de la voiture, contre 28 % dans les villes centres des métropoles. L'absence d'alternatives, mais aussi parfois la facilité et la liberté qu'offrent les déplacements en voiture freinent le développement d'une mobilité plus durable. Pourtant, le budget carburant pèse sur le pouvoir d'achat des ménages et les enjeux environnementaux accentuent la nécessité de changer de modèle de mobilité.
Une politique des petits pas pour le long terme
"Nous avons voulu imaginer ce qui bloquerait demain si l'on devait se passer de la voiture", raconte Pierrick Allard (2) . Le pays de Ploërmel rassemble 32 communes et 43.000 habitants sur 805 km2, au carrefour des axes reliant Lorient, Vannes, Rennes ou encore Saint-Brieuc. "Le pays n'a pas la compétence mobilité mais notre objectif était de défricher, d'expérimenter avant de passer à grande échelle", poursuit le directeur du pays, qui a été lauréat du premier appel à manifestation d'intérêt (AMI) French mobility, en 2018.
Le pays s'est rapproché de l'université de Bretagne sud pour enquêter sur les habitudes et les besoins de ses habitants. "Les résultats montrent que la tâche est immense et qu'il s'agit d'une politique des petits pas à mener à long terme. Il faut offrir des solutions différentes pour répondre aux besoins différents des individus".
L'idée était de mettre en place différentes offres permettant progressivement de changer les comportements. Des vélos électriques sont mis en location, avec option d'achat. En parallèle, le réseau cyclable est structuré pour mailler le territoire et l'articuler avec les autres offres de transports (bus, TER…). Des parkings à vélo sécurisés et dotés de bornes de recharge sont déployés dans les endroits stratégiques (arrêts de bus…).
En parallèle, une expérimentation a été lancée sur l'instauration de deux lignes de bus régulières pour desservir une gare TER et d'autres lieux stratégiques pour le territoire. "Nous enregistrons environ 600 montées et descentes par semaine. Avec ce nouveau service, nous touchons les personnes âgées, les jeunes mais moins les actifs. Nous allons retravailler avec les entreprises car, sur notre territoire, par exemple, il y a des industries agroalimentaires, avec des horaires de travail atypiques ", indique Pierrick Allard. Le covoiturage est encouragé et une association partenaire propose trois véhicules en location pour les personnes en insertion, à la recherche d'un emploi… En revanche, "la mobilité numérique, avec notamment les visioconférences, n'a pas fonctionné", souligne le directeur du pays. Alors que 48 % de la population des villes centre des métropoles ont recours au télétravail, seulement 25 % le pratique dans les zones rurales…
Après deux ans d'expérience, le constat est réaliste : "On n'a pas encore révolutionné les choses, on reste sur une mobilité essentiellement voiture". Cependant le pays poursuit sa politique des petits pas, certain d'aller dans la bonne direction. "Ces petits pas viennent matérialiser ce que pourrait être une mobilité modifiée par rapport à la situation actuelle, analyse Yannick Paillet, de l'Ademe Hauts-de-France. La conduite du changement passe par plusieurs étapes : la sensibilisation, la préparation à l'action pour amener les habitants à se projeter, puis l'expérimentation".
Décloisonner les réflexions
A une autre échelle, le conseil départemental du Nord a organisé son propre "Grand débat" sur la mobilité en 2018. Le département, constitué de trois grandes zones urbanisées et de zones rurales, compte 474 communes rurales sur ses 648 communes, représentant 22 % de sa population. "Il y a une attractivité très forte des grands centres urbains. Et sur la ruralité, il y a des problématiques d'accès à l'emploi, aux lieux culturels, aux services publics et commerciaux… tout ça est lié à la mobilité", analyse Patrick Valois, vice-président au conseil départemental.
Après avoir réalisé une enquête en ligne auprès des habitants, le département a organisé des ateliers avec les élus, les associations, les citoyens. Les solutions qui émergeront de cette consultation seront présentées cet été à la population.
"Il y a eu six axes de réflexion : favoriser les mobilités douces, sensibiliser dès le plus jeune âge aux mobilités actives, favoriser les modes partagés, optimiser l'existant (réseaux, véhicules dormants…) mais aussi la mobilité inversée", explique l'élu.
Dans les zones rurales, l'accès aux services publics est primordial. La mobilité inversée peut donc être une solution : "La maison de service mobile peut être une bonne idée mais n'est pas généralisable partout. Emmener les services publics dans les petites communes isolées peut fonctionner".
Le département cherche également à décloisonner ses actions : "Il faut revoir notre manière de penser en silo. Par exemple, le département aide un Epahd à acheter un minibus, mais combien de temps ce véhicule sera-t-il réellement utilisé ? Pourquoi ne pas utiliser ce véhicule dormant pour emmener trois mamies au marché d'une ville voisine, alors que la suppression d'une ligne de bus peu fréquentée les en a privées", illustre Patrick Valois.
Le département veut également promouvoir les déplacements en vélo : "Avec l'électrique, on a une nouvelle population qui passe au cyclable". Depuis le 1er janvier, le Nord a entamé le balisage de son réseau cyclable pour, à terme, couvrir tout le département.
L'AMI French mobility vise à soutenir des expérimentations de ce genre sur la mobilité du quotidien dans les territoires peu denses, ruraux et de montagne. Une première vague de 23 projets a été retenue en septembre 2018 (3) . Vingt sept nouveaux projets (4) ont été sélectionnés en janvier. Une troisième édition devrait être lancée prochainement.