"On fait l'inverse de ce qui a été fait jusque-là : on recherche les responsabilités nationales uniquement, en regroupant le maximum de victimes", explique Michel Parigot, figure historique du combat contre l'amiante.
Le président du comité anti-amiante de Jussieu a annoncé mardi 8 janvier, avec Pierre Pluta de l'Association régionale des victimes de l'amiante Nord-Pas-de-Calais (Ardeva) et leurs conseils Antoine Vey et Eric Dupond-Moretti, le lancement d'une nouvelle procédure judiciaire. M. Dupond-Moretti a été l'un des avocats de la partie civile dans l'affaire du sang contaminé, qui avait conduit à la condamnation pénale de trois médecins jugés responsables ainsi qu'à celle du secrétaire d'Etat à la santé, Edmond Hervé. Depuis cette affaire, aucune condamnation pénale de décideurs à l'origine d'un scandale sanitaire n'a plus été prononcée.
Éviter la phase d'instruction
Les avocats font le choix de la citation directe, une procédure qui présente l'avantage pour les victimes de saisir directement le tribunal correctionnel en évitant la phase d'instruction. Une phase qui a été fatale à nombre des procédures lancées jusque-là et qui pourrait encore l'être pour celles qui n'ont pas été closes. Le 11 décembre dernier, la Cour de cassation a en effet confirmé l'annulation des mises en examen dans les procédures lancées en... 1996 par les associations de défense des victimes du campus de Jussieu et des ouvriers du chantier naval Normed. En juin 2017, le Parquet de Paris avait ouvert la voie à un non-lieu dans une vingtaine d'affaires portant sur la fibre tueuse.
Avec cette nouvelle procédure, "c'est une façon de sortir de l'impasse judiciaire avec des instructions qui durent depuis plus de trente ans", a indiqué Antoine Vey, persuadé qu'un certain nombre de responsabilités pénales ont rendu possible le scandale. L'amiante est toujours à l'origine de 3.000 morts par an. Les responsables de cette nouvelle action restent discrets à ce stade sur les personnes physiques mises en cause. Il s'agit des membres du Comité permanent amiante (CPA), qui a neutralisé pendant des années toute décision défavorable à l'industrie de la fibre cancérogène, mais pas seulement. La citation directe, qui sera déposée dans les semaines qui viennent devant le Tribunal correctionnel de Paris, va également viser des personnes qui avaient échappé jusque-là à toute mise en cause.
Comprendre ce qui s'est passé
"L'objectif n'est pas de mettre des octogénaires en prison, explique Michel Parigot à Actu-Environnement. Le procès pénal a deux fonctions : punir mais aussi comprendre ce qui s'est passé". Un procès qui s'impose pour deux raisons principales selon le président du comité anti-amiante Jussieu. D'abord du fait d'un engagement moral vis-vis des victimes, dont certaines sont aujourd'hui décédées. "La France ne peut se permettre de ne pas avoir un procès pénal alors que l'amiante est responsable de 150.000 décès, que des responsabilités officielles ont été pointées par un rapport du Sénat et que l'Etat a été condamné pour faute", explique ensuite le responsable de l'Association des victimes de l'amiante et des autres polluants (AVA), récemment créée.
La Chambre haute avait publié en 2005 un rapport accablant pour l'Etat et pour les industriels. Le Conseil d'Etat, de son côté, avait reconnu en 2004 la responsabilité de l'Etat dans le décès d'un travailleur exposé à l'amiante. La Haute juridiction administrative avait retenu une faute de l'Etat du fait des carences dans la prévention des risques liés à l'exposition des travailleurs. Elle avait rappelé que le caractère nocif des poussières d'amiante était connu depuis le début du XXe siècle et son caractère cancérogène mis en évidence au milieu des années 1950.
Or, les autorités publiques n'avaient entrepris aucune évaluation des risques pour les travailleurs ni pris de mesures pour limiter les dangers liés à leur exposition avant 1977. Et ce n'est qu'en 1997 que l'amiante a finalement été interdit.