Après l'adoption par le Sénat de la proposition de loi de Gérard Bapt (SRC – Haute-Garonne) interdisant le bisphénol A dans les contenants alimentaires, l'Assemblée nationale va réexaminer le texte en seconde lecture. Dans ce cadre, la commission des affaires sociales de la chambre basse a procédé le 15 novembre à une audition des parties prenantes. Le moyen pour les députés de se faire une idée plus précise de la date d'interdiction à retenir compte tenu des enjeux sanitaires et industriels.
Le report de l'interdiction générale à 2015 est-il justifié ?
En octobre 2011, sous la précédente législature, les députés avaient adopté le projet de loi en première lecture. Celui-ci interdisait les ustensiles et conditionnements alimentaires contenant du BPA au 1er janvier 2014, mais avançait cette échéance au 1er janvier 2013 pour les articles destinés aux enfants de moins de trois ans.
Le 9 octobre dernier, le Sénat a voté un report de l'interdiction générale au 1er juillet 2015, toute en maintenant l'interdiction dès 2013 pour les nourrissons.
"Les sénateurs et sénatrices ont cru répondre à la question légitime des délais de recherche et de validation des alternatives, tout en réaffirmant l'urgence pour les individus vulnérables que sont les nourrissons", analyse André Cicolella, Président du Réseau Environnement Santé (RES), "mais ils ont faux sur les deux tableaux. D'une part, des produits de substitution valides sont déjà disponibles donc ce report n'est pas justifié. D'autre part, cette décision c'est aussi 18 mois supplémentaires d'exposition potentielle au BPA pour les femmes enceintes et les enfants à naître concernés, qui doivent être protégés en priorité".
Dangers et pertinence technologique des substituts
Si, comme le souligne Gérard Bapt, il n'existe maintenant "plus de négationniste des effets sanitaires du BPA", il n'existe pas de substitut universel pour tous les usages actuels de la substance, le bisphénol A étant utilisé dans différents types de contenants comme les boîtes de conserves, les canettes, les bouteilles en plastique ou les tickets thermiques.
Les questions qui se posent sont celles de l'évaluation des dangers des substituts et leur pertinence technologique. "Il existe peu de données sur les molécules en cours de stabilisation ou de développement, quant à leurs effets potentiels sur la santé", précise Dominique Gombert, directeur de l'évaluation des risques à l'Anses, qui a quand même identifié en juin dernier 73 substituts potentiels au BPA. L'Agence doit d'ailleurs rendre public début 2013 ses travaux complémentaires sur l'évaluation des risques présentés par le BPA et l'identification des substituts.
Quant à la pertinence technologique, des substituts présentant des caractéristiques identiques, voire supérieures dans certains cas, aux matériaux contenant du BPA existent d'ores et déjà, comme le montrent les emballages sans BPA proposés sur le marché par des sociétés comme Rubbermaid ou Tetra Pak. Des travaux de recherche, tels que ceux menés par l'équipe d'Hélène Fulcrand de l'INRA Montpellier sur la synthèse de résine époxy à base de polyphénols biosourcés prouvent également la faisabilité scientifique d'une production de substituts technologiquement fiables à partir de biomasse. Ce qui pourrait présenter par ailleurs l'avantage de donner naissance à une nouvelle filière industrielle sur le sol français.
Matériaux au contact ou tous contenants ?
Une autre interrogation réside dans le champ d'application de l'interdiction. Doit-elle viser tous les contenants ou seulement les matériaux au contact des produits alimentaires ?
Ainsi, la société Nestlé France s'est dite "prise un peu par surprise" par le glissement sémantique opéré depuis la proposition de loi initiale qui visait à l'origine les "conditionnements" et qui porte maintenant sur tous les "contenants" alimentaires. "Cela est lourd de conséquence", explique Lidya Meziani, chargée des relations institutionnelles du géant de l'agroalimentaire, car cela concerne également l'extérieur des produits.
Tous les produits Nestlé au contact direct des aliments sont d'ores et déjà sans BPA en Europe, mais tous les tests n'ont pu encore être menés à terme pour les matériaux extérieurs, explique Berte Demeyere, PDG Nutrition Infantile de Nestlé, qui prend pour exemple le problème de la résistance à la corrosion des boîtes en métal pour le lait en poudre infantile.
"On a besoin d'un peu de recul pour tester le substitut en soi, l'industrialisation, le substitut au contact du produit, attendre l'analyse de cycle de vie totale du produit avec des tests d'innocuité et des tests de vieillissement, sachant par exemple que la durée de vie d'une boîte de conserve est de 30 mois, et enfin prendre en compte le substitut avec le produit dans son environnement", explique Lidya Meziani.
"Il y a urgence"
Pour André Cicocella, il y a urgence, mais "la notion d'urgence n'est pas bien comprise par les agences". L'exemple du Connecticut qui a interdit le BPA dans les contenants alimentaires depuis octobre 2011 montre, selon lui, la faisabilité de l'interdiction. La distinction entre "matériaux au contact" et "contenants" lui semble toutefois légitime. "L'urgence est la contamination des enfants qui vont naître et on peut donc dissocier ces deux aspects", reconnaît le président du RES.
D'autant qu'au delà des produits alimentaires, se pose aussi la question de la contamination des écosystèmes par le BPA… Tout comme celle des risques sanitaires présentés par les autres perturbateurs endocriniens.