
Ambassadeur français délégué à l'environnement.
Actu-Environnement.com : Pourquoi la biodiversité est-elle un enjeu si important au niveau international ?
Yann Wehrling : L'humanité détruit la biodiversité de manière incroyablement méthodique. Un tiers des espèces sont menacées d'extinction et, au cours des 100 dernières années, 200 espèces de vertébrés ont disparu. Selon le WWF, en 40 ans, 60 % du vivant sauvage a disparu. Une mobilisation planétaire est indispensable pour enrayer cette chute. Plusieurs grands rendez-vous internationaux donnent cette opportunité dans les deux ans qui viennent : assemblée des Nations unies pour l'environnement, rapport de l'IPBES, G7, G20, congrès de l'UICN. Et surtout la 15e conférence des parties (COP15) à la convention sur la biodiversité biologique qui se tiendra fin 2020 en Chine.
AE : Comment la France entend-elle porter l'enjeu de la biodiversité lors de ces rencontres internationales ?
YW : Nous souhaitons répondre au souhait du président de la République de porter la question de la biodiversité à un haut niveau, comme le climat. Emmanuel Macron rappellera ces enjeux dès le mois de mars lors de l'assemblée des Nations unies pour l'environnement. La France, dont la diplomatie s'inscrit dans celle de l'Union européenne, a une forme de leadership en la matière. Tout comme la Chine sur laquelle repose le poids de l'accueil de la COP15. A l'inverse, des dirigeants de grands pays tiennent des discours qui font craindre des reculs environnementaux. Il faut faire en sorte que ce sujet vital soit davantage porté par la communauté internationale.
AE : Quels sont les enseignements à tirer de la COP21 sur le climat ?
YW : La France a réussi la COP21. Nous voulons donc travailler avec la Chine pour que la COP15 sur la biodiversité soit également une réussite. Nous tirons plusieurs enseignements de la COP21. En premier lieu, qu'il faut être simple dans les objectifs, à l'instar du 2°C de la conférence climat. Les objectifs d'Aichi, certes très justes, n'étaient pas très lisibles pour les parties prenantes et encore moins pour l'opinion publique. Il faudra fixer moins d'objectifs mais les rendre plus clairs, plus "appropriables", comme par exemple le nombre d'hectares d'habitats naturels ou d'espèces à préserver, ou le "zéro perte nette de biodiversité" proposé par des ONG, avec des horizons à 2030, 2050 et 2100. Ensuite, les États et les parties prenantes devront définir leurs engagements pour respecter ces objectifs dans une approche bottom-up. Enfin, il faudra adopter un agenda de l'action recensant les engagements des acteurs non-étatiques, tels que les entreprises, les acteurs financiers, les collectivités locales ou les ONG.
AE : L'action des États n'est donc pas suffisante ?
YW : La réussite de la COP21 a aussi reposé sur 10.000 engagements non étatiques. Pour la biodiversité, beaucoup d'entreprises restent en grande partie dans l'incapacité à savoir ce qu'elles peuvent faire concrètement. Avec des objectifs simples et un travail de type "mode d'emploi", elles vont s'engager davantage. L'initiative française Act4Nature est là pour le prouver. Il s'agit de créer une émulation pour répondre à un ou plusieurs engagements en partenariat avec des ONG, qu'il s'agisse de lutter contre la disparition d'habitats naturels, le braconnage ou la pollution.
AE : Quel rôle jouent les scientifiques ?
YW : Le Giec a joué un rôle extrêmement important dans la réussite de la COP21. Il doit en être de même avec l'IPBES pour la biodiversité. La parole des scientifiques prouve que l'on est dans le réel. Le prochain rapport sur l'état de la biodiversité planétaire, qui doit être rendu public en avril et dont on sait déjà qu'il sera alarmant, va représenter un moment très important.
AE : Quel est le rôle du public dans la réussite de cette mobilisation ?
YW : Il est essentiel afin de faire pression sur les décideurs. Il faut parler au cœur des gens, sur ce qui les touchent fortement, car les sujets de biodiversité sont parfois complexes. C'est la raison pour laquelle j'ai alerté sur la situation des grands singes, qui partagent 99 % de gènes avec nous, et qui peuvent disparaître dès 2030. Ainsi interpellé, le public se mobilisera aussi sur d'autres combats moins visibles.
AE : Est-ce une bonne chose de traiter le climat et la biodiversité de façon séparée, avec deux conventions distinctes ?
YW : L'intention initiale des premiers sommets internationaux n'était pas de diviser les choses, on les a scindées pour une question pratique. Cela peut conduire à des décisions contradictoires, comme sur l'huile de palme ou certaines énergies renouvelables qui peuvent nuire à la biodiversité. Il existe aussi de fortes convergences avec des actions qui réduisent les gaz à effet de serre et protègent la biodiversité. Il est nécessaire de traiter ces questions ensemble pour être cohérent.